Les Cahiers du Moulin

Un chant fidèle, par Jean-Pierre Sicre, directeur des éditions Phébus

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Armel Guerne parle de la traduction

 

 

Les Romantiques allemands, présentés par Armel Guerne

Femmes romantiques allemandes, par Jean Moncelon

Pour que les écrivains continuent à vivre…, Par Hubert Villard

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Ami fidèle d’Armel Guerne depuis ses débuts dans l’édition,

Jean-Pierre Sicre offre à nos lecteurs sa Note de l’éditeur rédigée pour la nouvelle édition des Romantiques allemands qu’il publie avec enthousiasme dans la collection Libretto.

 

Poète ardent et secret que l’on est enfin en train de redécouvrir, Armel Guerne fut aussi le traducteur insurpassable de Melville et des Romantiques allemands (Hölderlin, Novalis, Kleist), en tout cas l’un des «passeurs » exemplaires de son siècle, dans le sillage de son maître Albert Béguin.

Tous ceux dont le coeur bat à l’unisson des poètes et des conteurs de l’Allemagne romantique (et de Schumann, leur frère en musique) considèrent ce fort volume – presque une stèle – comme une sorte de bible : non seulement la meilleure introduction possible aux mystères du Romantisme allemand, mais le plus riche et le plus exigeant florilège qui ait jamais, en notre langue, rendu compte de ce haut moment de l’esprit.

Car Guerne ne s’est pas contenté de reproduire à bon compte quelques traductions héritées du XIXe siècle sans en vérifier ni l’exactitude ni l’altitude littéraire – comme cela s’était quasi toujours pratiqué jusqu’à lui. S’il reprend ici telles versions dues à des traducteurs élus – et d’abord celles, sublimes, qu’aura laissées Albert Béguin –, il n’hésite pas à proposer les siennes chaque fois que cela s’impose.

Le résultat : près d’un millier de pages où le geste de traduire n’apparaît jamais comme un effort, mais plutôt comme un chant fidèle, à l’unisson du texte original.

Publié en 1963[1] dans la fameuse « Bibliothèque européenne » des Éditions Desclée De Brouwer, ce monument n’avait jamais été réédité depuis – lors même que la critique de l’époque avait clamé haut son émerveillement.

Hölderlin, Jean-Paul, Tieck, Novalis, les frères Schlegel, Brentano, Arnim, Chamisso, Hoffmann, La Motte-Fouqué, Kleist – soit les plus grands – sont bien sûr ici sur le devant de la scène, représentés chacun par un ou plusieurs de leurs textes majeurs. Mais l’on découvrira aussi quelques-uns de leurs compagnons injustement oubliés – Wackenroder, Contessa, Bettina Brentano von Arnim, et la touchante Caroline von Günderode (la suicidée des bords du Rhin) –, lesquels furent eux aussi caressés par l’aile de l’ange. Sans oublier le cortège des romantiques dits tardifs, où brillent encore quelques inoubliables : Eichendorff, Büchner, Grabbe, Mörike…

On peut faire confiance à Armel Guerne, merveilleux écrivain, pour présenter avec ferveur ce petit monde où il ne se reconnaissait que des frères – et quelques soeurs. Ses notices, brèves mais ciselées, dont la feinte simplicité est un régal, sont elles-mêmes presque des poèmes. Mais c’est dans la langue qu’il prête ici à ses « amis » d’hier et d’avant-hier qu’il est grand. A ceux qui s’émerveillaient du résultat, il répondait, entre orgueil et modestie : « Il faut seulement beaucoup d’amour pour traduire bien, et des affinités qu’on ne commande pas. »

Le signataire de ces lignes, qui découvrit les Romantiques allemands par ce livre au moment de sa sortie, à l’heure où il fréquentait paresseusement l’université en se demandant à travers quelle contrée il allait bien pouvoir tailler sa route, ne peut pas ne pas se rappeler que cette lecture aura été pour lui, sinon de celles qui orientent une existence, en tout cas la haute confirmation de quelques affinités justement, qui allaient l’aider à se choisir pour la vie de ces compagnons de route sur lesquels on sait qu’on pourra durablement compter.

Soucieux de laisser encore s’opérer le miracle, il a voulu n’intervenir qu’au minimum sur ce corpus de près d’un demi-siècle d’âge ; conscient surtout que Guerne l’avait conçu, très précisément, pour qu’il gardât longtemps une violente actualité (ce dernier rappelait volontiers que son aventure de résistant pendant la guerre n’était pas séparable de l’amour qu’il portait à tous les « insurgés de l’âme » ici rassemblés, qui selon lui avaient été les premiers à témoigner contre telles noires épaisseurs du génie allemand). Tout juste il s’est borné à corriger quelques orthographes de noms propres, que Guerne sur le tard regrettait d’avoir francisés, ainsi que certains points de bibliographie.

Tant d’années ayant passé, il imagine la curiosité de ceux qui ont vingt ans aujourd’hui et qui pour la première fois ouvriront ce livre. Et il envie d’avance leur surprise et leur plaisir.      

 

Jean-Pierre SICRE

 

[1] La première édition a été publiée en 1956. Une nouvelle édition, augmentée d'un Sommaire biographique et bibliographique du Romantisme allemand ainsi que d'un Sommaire chronologique du Romantisme allemand, parue en 1963 sert de référence.