Les Cahiers du Moulin

 

FEMMES ROMANTIQUES ALLEMANDES, par Jean Moncelon

 

SOMMAIRE

 

 

 

 

Armel Guerne parle de la traduction

 

 

 

Un chant fidèle, par Jean-Pierre Sicre

 

 

 

Les Romantiques allemands, présentés par Armel Guerne

Pour que les écrivains continuent à vivre…, Par Hubert Villard

 

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Bio– bibliographies extraites de

Les Romantiques allemands

édition établie et présentée par Armel Guerne, Phébus Libretto, Paris, octobre 2004.

 

 

ARNIM, Elisabeth, Bettina von, née Brentano (Francfort-sur-le-Main, 4 avril 1785-Berlin, 20 janvier 1859). Famille originaire des bords du lac de Côme. Sœur de Clemens Brentano; petite-fille de Marie-Sophie de Laroche, l'écrivain de talent qui fut le grand amour de Wieland et que Goethe aima éga­lement, comme il aima sa fille, Maximilienne de Laroche, la mère de Bettina, et (un peu) Bettina elle-même. Amie de Karoline von Günderode. Entretient des relations avec la mère de Goethe et fréquente l'écrivain (à partir de 1807). Épouse Achim von Arnim en 1811. Publie ses œuvres à partir de 1840 : Correspondance de Goethe avec une enfant (dont la tra­duction française inspira à Balzac le sujet de Modeste Mignon), son roman sur Karoline von Günderode et La Couronne printanière de Clemens Bren­tano. Elle a connu, discuté et correspondu avec Jacobi, le philosophe, L. Tieck, qu'elle admirait, le peintre Louis Grimm, le chef d'orchestre Winter, son maître de musique, tant d'autres encore, et Beethoven, enfin, qui lui fit oublier Goethe.

Bettina von Arnims Sämtliche Werke (oeuvres complètes éditées par Waldemar Oehlke, Berlin, Propylüen Verlag, 1920-1922, 6 vol.); Bettinas Leben und Briefwechsel mit Goethe (correspondance authentique avec Goethe, édition de Fritz Bergemann, Insel Verlag 1927). Werke und Briefe, édition de Frechen (1959, 2 vol.); Werke und Briefe (Francfort-sur-le-Main, Deutscher Klassiker Verlag, 1986-1995 (4 vol.); Werke (Berlin, Aufbau Ver­lag, 1986-1989); Bettina von Arnims Briefwechsel mit ihren Sôhnen (Göt­tingen, Wallstein, 1999); Der Briefwechsel Bettine von Arnims mit Brüdern Grimm 1838-1841 (Francfort-sur-le-Main, Insel Verlag, 1985); Correspondance de Bettina et Goethe (traduit par Jean Triomphe, Paris [ci-dessous « P. »], Gallimard, 1942); Romantisme et Révolution. Lettres et articles (traduction de Marie-Claire Hoock-Demark, P., Syros, 1981).

GÜNDERODE, Karoline von (Karlsruhe, 1780 - Winkel-sur-Rhin, 1806). Auteur, sous le pseudonyme de Tian, des Poèmes et fantaisies (1804), frag­ments et drames poétiques. Amie intime de Bettina [Brentano-von Arnim], elle se poignarda en 1806 sur les bords du Rhin par désespoir d'amour après le mariage du professeur Creuzer. Bonne étude allemande de Richard Wilhelm (1938). En français, Geneviève Bianquis (thèse), Caroline de Günderode, avec des lettres inédites (texte allemand) (P., F. Alcan, 1910).

Armel Guerne avertit que nous risquerions de nous méprendre au sujet du romantisme allemand, si nous ne prêtions pas une attention suffisante aux femmes, célèbres ou inconnues, qui ont accompagné son essor à Iéna, Berlin et Dresde : « Leur coeur et leur chaleur imprègnent magiquement le Romantisme d'une féminité souveraine ». Or, qui sont réellement ces femmes romantiques allemandes à propos desquelles le poète Novalis, mort en 1801, avait eu, lui, cette réflexion – inspirée sans doute par sa très jeune fiancée, Sophie von Kühn : « On dirait qu’elles sont par nature ce que nous sommes par art, et que leur art est notre naturel. Elles sont des actrices nées, des artistes nées »[1] ?

            Parmi les écrivains qui composent son anthologie du Romantisme allemand [2] , Armel Guerne en retint principalement deux : Bettina Brentano et Karoline von Günderode. De la première, il traduisit, entre autres, une longue lettre adressée à la mère de Goethe à propos de la mort tragique de la seconde, qui était son amie et sa confidente : « Elle me lisait ses poésies et se réjouissait de mon approbation. (…) Nous lisions Werther et nous discutions beaucoup sur le suicide ». Karoline von Günderode, qui s’est donnée la mort en 1806, par dépit amoureux, à l’âge de 26 ans, avait pour devise : « Beaucoup apprendre, beaucoup comprendre par l’esprit, et mourir jeune ! Je ne peux pas voir la jeunesse m’abandonner ». Ce qui mettait au désespoir sa jeune amie qui lui répondit un jour : « Vis, jeune Günderode, ta jeunesse, c'est la jeunesse du jour, l'heure de minuit la fortifie (…). N'abandonne pas les tiens, ni moi avec eux. Aie foi dans ton génie, afin qu'il grandisse en toi et règne sur ton coeur et ton âme. Et pourquoi désespèrerais-tu?... Comment peux-tu pleurer ta jeunesse? Je ne peux pas supporter tes divagations sur la vie et la mort... ».

            Karoline von Günderode poursuivait un rêve intérieur d’une singulière beauté : « Il te faut redescendre, disait-elle à Bettina Brentano, dans le jardin enchanté de ton imagination, ou plutôt de la vérité, qui se reflète dans l’imagination. Le génie se sert de l’imagination pour rendre sensible par la forme ce qui est divin et ce que l’esprit de l’homme ne saurait comprendre à l’état idéal. Oui, tu n’auras d’autres plaisirs dans ta vie que ceux que se promettent les enfants par l’idée de grottes enchantées et de fontaines profondes »

            Cependant, s’agissait-il pour elle d’autre rêve que celui de cet «heureux pays des rêves », « où les morts parlent aux vivants, où une lumière terrestre brille encore pour eux, sous le voile du linceul » ? C’est du moins l’hypothèse que retint Armel Guerne pour nous décrire son geste, «  cette mort théâtrale, mais émouvante, et sans doute longtemps caressée à l'avance » : « La chevelure défaite et le sein poignardé, elle gît, blanche et belle, sur la berge verte du Rhin; et le linceul dont elle s'est secrètement enveloppée, c'est le grand souffle mystérieux qui accompagne les fleuves puissants et mâles…»

            De Bettina Brentano (1785-1859), Armel Guerne écrira : « La délicieuse Bettina n'est pas l'exquis bonbon qu'on croit, ni seulement la bacchante qu'on a dite : on peut lire avec gravité les lettres que lui écrit Beethoven. Il le sait : elle avait le rare héroïsme du sentiment de la grandeur. » Elle fit un mariage d’amour avec l’écrivain Achim von Arnim. En plus de sa Correspondance de Goethe avec une enfant, elle imagina un monument à la gloire du grand homme – représentant le maître de Weimar en dieu antique - plus Jupiter qu’Apollon - et elle-même sous les apparences d’un génie ailé se blottissant à ses pieds : « Bien souvent au cours des années passées, j’ai cherché l’énigme de ma vie et je me suis demandé pourquoi j’étais en ce monde. Eh bien, ce monument est l’énigme de ma vie… »

            Cette mise en scène grandiose que Bettina Brentano imagina à propos de Goethe, ainsi que le destin tragique de Karoline von Günderode ne doivent pas occulter cependant deux autres grandes figures féminines du romantisme allemand : ces deux Etoiles orientales, c’est-à-dire de l’Orient métaphysique, que furent Sophie (von Kühn) et Diotima (Suzette Gontard).

            Sophie von Kühn était la fiancée du poète Novalis. « La muse de Novalis, écrit Heine, était une petite fille mince et pâle avec des yeux bleus tristes et des boucles dorées ». Elle mourut le 19 mars 1797, deux jours après son quinzième anniversaire, des suites d’une maladie incurable qu’elle endura avec une patience qui fit l’admiration de tous ceux qui assistèrent à son agonie : Novalis, Friedrich Schlegel et Goethe lui-même. Avant que la mort ne les sépare, Novalis avait remarqué : « Ma discipline préférée s'appelle au fond comme ma fiancée : elle s'appelle Sophie ».

            Les fiançailles de Novalis et de Sophie, interrompues par la mort, dureront moins de trois ans. A peine plus long sera le temps pour Suzette Gontard et Hölderlin de célébrer leur amour jusqu’à ce que leur brutale séparation, le 25 septembre 1798, entraîne le poète dans la détresse et, bientôt, la folie qui sera sienne jusqu’au terme de son existence. Suzette Gontard est Diotima. Peu avant sa propre mort, en 1802, elle avait écrit à Hölderlin : « La vie est si courte et j’ai si froid, et parce qu’elle est si courte, faut-il en jouer ainsi ? Dis-moi, où nous retrouverons-nous, chère âme, où trouverai-je le repos ? Tout ce que je ferai contre mon amour me donne l’impression de me perdre, de me détruire. Quel art difficile que l’amour ! »

            « Il faudrait tout un chapitre, et capital, pour parler des femmes dans le Romantisme, les amoureuses et les amies, dont la soudaine et gracieuse et multiple présence - qu'elles eussent ou non écrit, voire laissé seulement un souvenir de leur passage - est un signe majeur de ce temps allemand… »

            Tel était le vœu d’Armel Guerne.

            Pour le réaliser, il n’en faudrait pas moins, à côté de ces deux « actrices nées, artistes nées » que furent Karoline von Günderode et Bettina Brentano, faire la part belle à celles dont la rencontre décideront un jour de la vocation à l’amour de Novalis et de Hölderlin. En effet, si ce que nous savons des femmes romantiques allemandes ne se limite pas à la mort, à la séparation d’avec le bien-aimé, au suicide, - on pense à la poétesse Luise Hensel, par exemple, - il reste que Sophie et Diotima continuent, elles, de briller dans le ciel du romantisme allemand, avec cette autre Etoile d’Orient que Nerval poursuivit jusqu’à sa propre mort tragique : Sophie, Diotima, Aurélia, formant la constellation de ces femmes qui éclairent le Ciel au-delà du ciel, la vraie patrie de ces poètes divinement inspirés, que furent Novalis, Hölderlin et Nerval.

Jean Moncelon

 

[1] Fragment « Clarisse », traduction Armel Guerne, in Novalis, Œuvres complètes, Gallimard, 1975, tome II, p.144.

[2] Les Romantiques allemands, Desclée de Brouwer, 1963, actuellement en cours de réédition. Toutes les citations d’Armel Guerne sont extraites de ce volume.