CASPAR DAVID FRIEDRICH

Symbolique dans l’œuvre de Caspar David Friedrich

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La Croix au bord de la Baltique, 1815

Le premier degré de la symbolique de Friedrich est une symbolique religieuse. Si l’on considère un tableau comme La Croix au bord de la Baltique, il est aisé de reconnaître des symboles simples comme la Croix et l’Ancre, symboles de la Foi et de l’Espérance chrétiennes, ou la Lune, comme symbole du Christ, ou encore le bateau, symbole de l’âme.

Cependant, si nous y prêtons attention, nous passons insensiblement d’une dimension religieuse à une dimension spirituelle qui forme le second degré de la symbolique de Friedrich.

La Croix sur le rivage qui figure notre monde terrestre, en marque aussi l’extrémité. Ce qui s’étend au-delà de ce rivage et que domine la Croix, n’est pas le monde terrestre, mais son « extension », la Terre céleste.

Le bateau, symbole de l’âme chrétienne, qui s’éloigne en direction de l’horizon, annonce une traversée qui n’est pas seulement la succession des jours et des nuits, de la naissance à la mort, et l’horizon qu’il a en vue n’est pas l’horizon terrestre, mais celui de la Terre céleste, l’horizon métaphysique.

Dès lors, la mer où navigue notre bateau/âme, n’est plus seulement une image de notre vie terrestre, elle est le symbole de ce monde qu’il faut traverser pour en atteindre l’extrémité orientale.

Ce monde est le Monde de l’Ame, notre « vraie patrie ».

Le ciel est alors la « signature », au sens de Jacob Boehme, du Monde céleste, car « l’être extérieur est la signature de l’être intérieur » (La signature des choses, IX, 3)

         De ce tableau, Friedrich écrira, le 9 mai 1815 :

         « Le tableau destiné à votre amie est déjà esquissé mais vous n’y verrez ni église, ni arbre, ni plante, ni brin d’herbe. Sur le bord de mer nu, caillouteux, s’élève la croix, haut érigée : pour ceux qui voient, une consolation ; pour ceux qui ne voient pas, une croix. »

         On sait que cette symbolique, en relation avec la « vraie patrie » est explicite dans certains tableaux, et particulièrement dans Matin dans le Reisengebirge (1810-11).

         Si c’est au terme de son existence terrestre que l’homme est accueilli par sa propre âme au pied de la Croix, c’est aussi durant cette vie terrestre que l’homme intérieur qui a atteint l’extrémité de la Terre céleste se trouve réuni à cette âme qui est à sa ressemblance. Si elle se tient au pied de la Croix, c’est qu’elle est la médiatrice, et une figure de Sophia, comme le Christ lui-même est médiateur. « Christus und Sophie », disait Novalis. Ici, le Maître intérieur est clairement identifié comme étant le Christ-Sophia. Du sommet qu’il a atteint, guidé par sa propre âme, son « guide de lumière », l’homme peut s’élever dans une ascension céleste, qui démarre au pied de la Croix.

La symbolique de Friedrich s’adresse à ceux qui ont les yeux pour voir, les yeux de ceux qui se tiennent de dos dans ses tableaux, pour bien signifier que le regard qu’ils portent sur les choses, essentiellement la Nature, est un regard d’intériorité, le regard de l’homme intérieur.

         Novalis disait : « De même que le peintre voit les objets du monde visible d’un tout autre œil que l’homme ordinaire – de même le poète vit autrement que l’homme du commun les événements de son monde intérieur et du monde extérieur. »

         Notre approche de l’œuvre de Friedrich doit être, par conséquent, essentiellement intérieure. Il faut considérer ses œuvres picturales avec l’œil de l’esprit – en dehors de toute considérations esthétiques, de toute émotion extérieure aussi, de ces émotions que procure extérieurement le Beau. En un mot, il est indispensable de se mettre à son diapason, à la hauteur de son exigence du Beau qui est une théophanie : « Ferme l’œil de ton corps afin de voir ton tableau d’abord par l’œil de l’esprit. Puis mets au jour ce que tu as vu dans l’obscurité, afin que ta vision agisse sur d’autres, de l’extérieur vers l’intérieur » (Considérations à propos d’une collection de peintures, papiers posthumes)

C’est bien en cela que Friedrich est le peintre romantique par excellence, selon le cœur de Novalis : « Le peintre, à vrai dire, peint avec l’œil ; - son art est l’art de voir esthétiquement, harmonieusement beau. Son voir est un agir totalement positif, absolument imageant. Son image n’est que son chiffre, son expression, son instrument de reproduction » (Fragments préparés pour de nouveaux recueils, 210).