"Novalis était grand, élancé et de nobles
proportions. Il portait des cheveux brun clair en boucles tombantes, ce qui à l'époque
n'attirait pas autant l'attention que ce serait le cas maintenant ; ses yeux bruns
étaient clairs et brillants, et le teint de son visage, en particulier de son front
inspiré, presque diaphane. Il avait la main et le pied un peu trop grands et dépourvus
de finesse dans l'expression. Sa physionomie était toujours gaie et bienveillante. Aux
yeux de celui qui ne distingue les hommes qu'à la manière dont ils se mettent en avant,
ou cherchent à en imposer ou à se faire remarquer par des convenances affectées, par ce
que réclame la mode, Novalis se perdait dans la foule ; mais au regard plus exercé, il
offrait la manifestation de la beauté. Le contour et l'expression de son visage étaient
très proches de ceux de Jean l'Évangéliste, tel que nous le voyons sur le grand et
splendide panneau d'Albrecht Dürer conservé à Nuremberg et à Munich.
Sa conversation était animée et
sonore, son geste grandiose, je ne l'ai jamais vu las ; nous avions beau poursuivre nos
entretiens jusque tard dans la nuit, il ne s'interrompait que délibérément pour se
reposer et non sans lire encore avant de s'endormir. Même dans des sociétés pesantes
pleines d'esprits médiocres, il ne connaissait jamais l'ennui, car il découvrait à coup
sûr une personne qui lui communiquait quelque connaissance encore inconnue de lui, et
dont il pouvait avoir l'usage, aussi minime fût-elle. Son amabilité, sa conversation
empreinte de franchise faisaient qu'il était aimé en tous lieux, sa virtuosité dans
l'art des relations que les petits esprits n'ont jamais perçu à quel point il les
dominait. Autant il se plaisait surtout à dévoiler dans la conversation les profondeurs
du cur, parlant avec enthousiasme des régions de mondes invisibles, autant il
était cependant joyeux comme un enfant, plaisantant avec une gaieté sans prévention et
s'abandonnant lui-même aux badinages de la compagnie. Exempt de vanité, de prétention
savante, étranger à toute affection et dissimulation, c'était un être humain
véritable, authentique, l'incarnation la plus pure et la plus aimable d'un grand esprit
immortel."
in
Novalis vu par ses
contemporains, Éditions Novalis, 1994, p.34-35
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