TROIS FIGURES DU SOUFISME

Hallâj - Ibn 'Arabî - Rûmî

Retour à Soufisme - Voir aussi Hâfez Shirâzi

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Aperçus sur l'Ésotérisme

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Réf : Louis Massignon, La passion de Hallâj, Gallimard, 1975

Voir Hallâj poète

Réf : Henry Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabî, Flammarion, 1958 et Claude Addas, Ibn Arabî et le voyage sans retour, Le Seuil, 1996

Réf : Annemarie Schimmel, L’incendie de l’âme, Albin-Michel, 1998 et Eva de Vitray-Meyerovitch, Rûmî et le soufisme, Le Seuil, 1977

 

Rûmî

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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« Tu es endormi, alors que l’eau de Khezr jaillit sur toi : / Lève-toi de ton sommeil et saisis la coupe de l’éternité. / Le reste, c’est l’amour qui te le dira, en cachette de moi. / Sois comme les compagnons de la caverne, à la fois endormis et éveillé. » Rûmî

          Hallâj

          « Tu habites là, dans mon cœur, où résident, venant de Toi, des secrets »

Louis Massignon a fait connaître la figure de Hallâj, « martyr mystique de l’Islam », selon son expression, au point d’ailleurs qu’en France, Hallâj est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il faut le replacer à sa juste place parmi les grandes figures de l’Islam. Ce qui avait frappé Massignon, à propos de Hallâj, était autant ses poèmes extatiques que sa vie et surtout sa mort, puisqu’il fut crucifié à Bagdad, en 922.  L’expérience spirituelle de Hallâj s’est exercée à partir de la foi musulmane, qui est « de n’adorer que Dieu seul » et « d’obéir à Dieu à tout prix ». C’est ainsi qu’il a brisé les idoles du culte exotérique – « détruire mentalement en soi la Ka’ba, pour entrer en présence directe de son Fondateur » – et qu’il est allé jusqu’à désirer mourir anathème. On connaît sa fameuse Qasida : « Tuez-moi donc, mes féaux camarades, c’est dans mon meurtre qu’est ma Vie » (X).

            Le problème de Hallâj et la cause de sa condamnation viennent de qu’il a manifesté publiquement « ses signes et ses miracles », ce qui est le propre du prophète, alors que le saint a le devoir de les cacher. Pour la plupart de ses contemporains et pour ceux, soufis, qui se prononceront sur cette condamnation, il était juste de le condamner, bien qu’il fût un saint et non un hérétique. Mais pour Louis Massignon, « la phrase cruciale de son expérience, « Anâ’l-Haqq », « je suis la Vérité », ou « mon Je, c’est Dieu », n’est pas une formule moniste, de métaphysicien, c’est une « clameur de justice » criée en pleine lucidité. »

            Quoi qu’il en soit, Hallâj a laissé ce distique :

            « Ton Esprit s’est emmêlé à mon esprit, comme l’ambre s’allie au musc odorant / Que l’on Te touche, on me touche ; ainsi, Toi, c’est moi, plus de séparation »

            Ibn ‘Arabî

            « Le réel est le Réel, le créaturel est le créaturel 

La figure d’Ibn ‘Arabî qui domine toute « l’histoire moderne du mysticisme musulman » reste le Maître par excellence. Il est surnommé le shaykh al-akbar, il est aussi considéré comme le sceau de la sainteté. Mais, s’il est indéniable que son œuvre constitue une somme d’une importance considérable, on aurait tendance à croire que le soufisme antérieur devait aboutir à lui et qu’après lui il n’avait plus de raison d’être. C’est encore une fois l’histoire de l’arbre qui cache la forêt. Cela n’empêche pas qu’Ibn ‘Arabî reste une des plus importantes figures du soufisme, et le principal représentant de la voie de « l’unicité de l’être » (wahdat al-wujûd).

Ibn ‘Arabî est né en 1165, à Murcie. Il assiste aux funérailles d’Averroès à Cordoue, en 1198. Deux ans plus tard, il quitte définitivement l’Andalousie, pour l’Orient : Tunis, puis la Mekke, l’Anatolie, avant son installation définitive en Syrie, en 1223. Il y est mort le 8 novembre 1240.

Sans partager complètement l’opinion de Louis Massignon à son égard, force est de reconnaître que, même dans leurs élans les plus intimes, ses écrits gardent une grande sécheresse d’expression. Dire que Ibn ‘Arabî s’est reconnu très tôt  « une âme de poète » est un abus de langage. De ce point de vue, on peut au moins lui préférer Hâfez Shirâzi et même Hallâj. Pourtant, Ibn ‘Arabî a expérimenté la voie de l’amour – c‘est toute son aventure amoureuse avec celle qui sera sa Béatrice : Nizâm – dont on peut dire que le cœur d’Ibn ‘Arabî sera un jour tout entier épris, comme ce fut le cas pour Dante avec Béatrice. Henry Corbin a écrit des pages admirables sur cette expérience de l’amour humain. Mais, lui-même aura sans doute manqué, si l'on peut dire, ce qui constitue le fond de la métaphysique « akbarienne », à savoir « l’Homme universel » :

« Du point de vue de la Créature, l’univers est multiple, or la Création est Une. Au regard de l’Essence, « l’univers est comme un seul être ».

L’homme ordinaire ne perçoit donc de l’univers que sa multiplicité, tandis que le saint, le soufi, le perçoit dans son unicité, étant devenu lui-même un, « en ayant effectivement réalisé toutes les Vérités universelles qui se reflètent dans sa forme terrestre ». Ou, en d’autres termes, dès lors que « sa « réalité intérieure » s’identifie à celle de la totalité de l’univers ». Il sera alors identifié à l’ « Homme parfait », à l’« Homme universel », parce que, pour lui, les Réalités divines ne seront plus « voilées » par rien.       

            Rûmî

           « L’Ami dit : « je suis ta propre âme et ton propre cœur ; / Pourquoi es-tu frappé de stupeur ? »

Djalâl ud-din Rûmî, Mawlânâ, ce qui signifie « notre Maître », est né en 1207. Il est le fondateur de l’ordre des Derviches-tourneurs.

L’existence de Rûmî est inséparable de celle d’un mystérieux personnage, un derviche errant, du nom de Shams de Tabrîz, qui bouleversa sa carrière de professeur de juriste et toute sa vie. Il existe plusieurs versions de leur rencontre qui eut lieu à Konya, en 1244, toutes plus étonnantes les unes que les autres. Voici ce qu’en dit plus simplement Sultan Walad, son fils : « Le chercheur est celui qui trouve… Car le bien-aimé devient l’amoureux. Son guide mystique sur la Voie mystique était Shams de Tabrîz. Dieu consentit que Shams se manifestât particulièrement à lui, et que ce fût pour lui seul. » Trois années après cette rencontre, Shams fut assassiné par des disciples jaloux de son ascendant sur Rûmî. Cette mort constitua une étape dans l’amour de Rûmî – étape que l’on retrouve dans des circonstances différentes chez les fidèles d’amour, car l’amour humain qu’il éprouvait pour Shams et l’amour divin étaient bien le nom d’une seule et même chose pour lui. A sa mort donc, il écrivit : « Bien que nous soyons loin de lui corporellement – Sans corps et sans âme, tous deux nous sommes une seule lumière. (…) Pourquoi dis-je moi ou lui, puisque lui-même est moi, et que moi je suis lui ? »

L’œuvre de Rûmî est considérable et ses Odes mystiques – le dîwân de Shams de Tabriz – autant que son Mathnavi qui compte près de 25 000 distiques – sont un sommet de la littérature persane. Rûmî est aussi le promoteur du concert spirituel – le samâ’ – et de cette danse sacrée qui caractérise l’ordre qu’il a fondé : « Plusieurs chemins mènent à Dieu, dira-t-il, j’ai celui de la danse et de la musique ».

 « Le samâ’ est la paix pour l’âme des vivants,

Celui qui sait  cela possède la paix de l’âme.

Celui qui désire qu’on l’éveille,

C’est celui qui dormait au sein du jardin.

Mais pour celui dort dans la prison,

Etre éveille n’est pour lui que dommage.

Assiste au samâ’ là où se célèbre une noce,

Non pas lors d’un deuil, en un lieu de lamentation.

Celui qui ne connaît pas sa propre essence

Celui aux yeux de qui est cachée cette beauté pareille à la lune,

Une telle personne qu’a-t-elle à faire du samâ’ et du tambour de basque ?

Le samâ’ est fait pour l’union avec le Bien Aimé.

Ceux qui ont le visage tourné vers la Qibla,

Pour eux, c’est le samâ’ de ce monde et de l’autre.

Et plus encore ce cercle de danseurs dans le samâ’

Qui tournent et ont au milieu d’eux leur propre Ka’ba ».