La traduction de Charles Le Brun du Râmâyana
- la geste de Râma - n'était plus disponible depuis
des années. Cette nouvelle édition, revue et
corrigée, satisfera les plus avertis des lecteurs et
ravira ceux qui y découvriront pour la première fois
ce chef d'œuvre de la littérature sanscrite.
*
Le Râmâyana, notre raison d'écrire, est une légende;
c'est vrai. Une épopée aussi, un poème. Et puis tout
autre chose. On peut bien se passionner pour
Hanouman, le singe merveilleux ; pour Rama et son
épouse, pour les magies de l'amour dont ils
habillent leurs paroles ; pour Râvana l'irascible,
le téméraire ; mais l'amour, mais la vertu, mais le
courage ne sont ici que des passerelles lancées vers
d'autres rives. Et quand l'émotion les étreint, çà
et là, on doit savoir qu'une volonté plus haute
conduit l'idéale Sîtâ, le glorieux Râma, ou le singe
au beau langage. Parce que les sentiments ne
l'emportent jamais sur l'Ordre. Sur la Loi. Cette
Loi qui n'est encore qu'un dernier voile derrière
quoi reposent d'immobiles sagesses.
A ceux qui vont entrer dans cette œuvre, que peut-on
dire ? Nous qui l'avons respirée pendant des mois,
nous n'en étions jamais lassé; nous n'en avions
jamais épuisé le parcours. L'explication va presque
de soi : certains voyages ne finissent pas tout
simplement parce qu'ils n'ont pas commencé. Telle la
vie, vulgairement circonscrite entre la naissance et
la mort bien que tout proclame qu'elle change
seulement de forme et de mode.
Derrière l'inoubliable aventure du prince d'Ayodhyâ,
s'enracinant avant et s'avançant après, se dessine
l'enseignement sans âge de toutes les grandes
civilisations, sans distinction de races ; celui
dont nos contemporains, par les effets d'une étrange
fatalité, risquent de perdre jusqu'au souvenir à
force de s'infatuer de leurs dérisoires et
dangereuses prouesses; et de les croire
indispensables.
Charles Le Brun
*
"Il y a de cela longtemps, dans le pays des Koçalas,
vivait un roi puissant et juste nommé Daçaratha.
Ayodhyâ était la capitale de son royaume, ville
fameuse par ses richesses, par la beauté de ses
jardins et de ses édifices, par ses remparts
inaccessibles. Manou - le premier de tous les hommes
- avait été son fondateur. Non loin de la cité
coulait la rivière Sarayoû qui descend des monts
immenses de l'Himâlaya. De tous côtés s'étendaient
d'opulentes campagnes et des forêts superbes. Depuis
de nombreux siècles, le roi régnait paisiblement. En
effet, en ces âges lointains, les hommes vivaient
plus de mille ans et n'étaient point malades. La
paix était universelle et la misère n'existait pas.
Chacun menait son existence selon les droits et les
devoirs de sa caste, n'enviant ni ne méprisant
personne, soucieux seulement de la Loi et de la
Vérité. Les guerriers obéissaient aux prêtres ; les
marchands et les artisans aux guerriers ; une
dernière caste, enfin, servait les trois autres. Et
l'ordre rendait heureux ces hommes.
Or, le roi Daçaratha vieillissait et n'avait point
d'enfant mâle pour assurer la continuité de sa
race..." |