LE RÂMÂYANA

L'adaptation de Charles Le Brun

Le Râmâyana, adaptation de Charles Le Brun, introduction d'Alain Daniélou, Dervy, 2006

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[L'illustration ci-dessus représente Hanouman devant le trône de Râma, et non l'ordalie de Sîtâ, comme l'indique la mention de la quatrième de couverture]

La traduction de Charles Le Brun du Râmâyana - la geste de Râma - n'était plus disponible depuis des années. Cette nouvelle édition, revue et corrigée, satisfera les plus avertis des lecteurs et ravira ceux qui y découvriront pour la première fois ce chef d'œuvre de la littérature sanscrite.

 

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Le Râmâyana, notre raison d'écrire, est une légende; c'est vrai. Une épopée aussi, un poème. Et puis tout autre chose. On peut bien se passionner pour Hanouman, le singe merveilleux ; pour Rama et son épouse, pour les magies de l'amour dont ils habillent leurs paroles ; pour Râvana l'irascible, le téméraire ; mais l'amour, mais la vertu, mais le courage ne sont ici que des passerelles lancées vers d'autres rives. Et quand l'émotion les étreint, çà et là, on doit savoir qu'une volonté plus haute conduit l'idéale Sîtâ, le glorieux Râma, ou le singe au beau langage. Parce que les sentiments ne l'emportent jamais sur l'Ordre. Sur la Loi. Cette Loi qui n'est encore qu'un dernier voile derrière quoi reposent d'immobiles sagesses.

          A ceux qui vont entrer dans cette œuvre, que peut-on dire ? Nous qui l'avons respirée pendant des mois, nous n'en étions jamais lassé; nous n'en avions jamais épuisé le parcours. L'explication va presque de soi : certains voyages ne finissent pas tout simplement parce qu'ils n'ont pas commencé. Telle la vie, vulgairement circonscrite entre la naissance et la mort bien que tout proclame qu'elle change seulement de forme et de mode.

          Derrière l'inoubliable aventure du prince d'Ayodhyâ, s'enracinant avant et s'avançant après, se dessine l'enseignement sans âge de toutes les grandes civilisations, sans distinction de races ; celui dont nos contemporains, par les effets d'une étrange fatalité, risquent de perdre jusqu'au souvenir à force de s'infatuer de leurs dérisoires et dangereuses prouesses; et de les croire indispensables.

 

Charles Le Brun

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"Il y a de cela longtemps, dans le pays des Koçalas, vivait un roi puissant et juste nommé Daçaratha. Ayodhyâ était la capitale de son royaume, ville fameuse par ses richesses, par la beauté de ses jardins et de ses édifices, par ses remparts inaccessibles. Manou - le premier de tous les hommes - avait été son fondateur. Non loin de la cité coulait la rivière Sarayoû qui descend des monts immenses de l'Himâlaya. De tous côtés s'étendaient d'opulentes campagnes et des forêts superbes. Depuis de nombreux siècles, le roi régnait paisiblement. En effet, en ces âges lointains, les hommes vivaient plus de mille ans et n'étaient point malades. La paix était universelle et la misère n'existait pas. Chacun menait son existence selon les droits et les devoirs de sa caste, n'enviant ni ne méprisant personne, soucieux seulement de la Loi et de la Vérité. Les guerriers obéissaient aux prêtres ; les marchands et les artisans aux guerriers ; une dernière caste, enfin, servait les trois autres. Et l'ordre rendait heureux ces hommes.

          Or, le roi Daçaratha vieillissait et n'avait point d'enfant mâle pour assurer la continuité de sa race..."