PARACELSE

Préface (extraits) l'Herbarius

par Charles Le Brun

SOMMAIRE

> Théophraste Bombast de Hohenheim, dit Paracelse, par Charles Le Brun

> "Sans ambages, il s'intitule Prince des deux médecines - celle du corps et celle de l'âme...", voir Paracelse, par Charles Le Brun

> Une biographie

> Bibliographie, établie par Charles Le Brun

> Deux légendes : La rose de Paracelse - Paracelse et le Diable

> Les Pronostics de Paracelse

> Le Lion septentrional (traduction inédite)

> Un document inédit : Conseils pour une traduction des oeuvres complètes de Paracelse, par Armel Guerne : I - Historique - II - Moyens de réalisation et méthode  

 

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      La toute première chose à dire ici, afin de bien lever l'équivoque possible, c'est qu'on ne peut en aucun cas assimiler la médecine de Paracelse à la nôtre, quel qu'ait été l'avis ou le calcul des traducteurs ou des commentateurs. Les titres de précurseur ou de novateur dont on affuble l'illustre citoyen d’Einsiedeln sont faux, et les interprétations qui s'ensuivent particulièrement vaines.

       Paracelse est un témoin de la Tradition, ce qui signifie d'abord qu'il n'a rien pressenti qui fut matière nouvelle dans le domaine de la Connaissance. Il a seulement retrouvé. Il a redit l'art de guérir qui ne varie que dans les apparences : «Tous les arts qui existent sur la terre sont d'inspiration divine... alors, je vous le demande, quelle chose l'homme a-t-il découverte par lui-même et de son propre chef? même pas de coudre une pièce d'étoffe sur un trou de sa culotte! » Ensuite, qu'il n'y a pas pour lui la moindre place dans le système évolutif ascendant dont l'époque actuelle a fait le point de départ de ses investigations, l'évolution n'ayant pas de sens dans un cadre traditionnel et n'y figurant tout au plus que comme un accident ou une erreur. En effet, l'état de vérité qui commença les mondes - le Satya-Yuga des Hindous - n'a pas lieu d'être dépassé étant en lui-même immuable. Dans le meilleur des cas il dure; dans le pire, il s'obscurcit et chacun doit le rechercher pour son compte. Enfin, et par voie de conséquence, qu'il s'oppose aux fermentations dangereuses de son époque, laquelle, nous le savons tous, marque approximativement la manifestation visible des temps dits modernes.

            On peut bien croire tout ce qu'on veut tant qu'on n'enseigne personne; la culpabilité n'est qu'intérieure et c'est affaire de vigilance. Mais si l'on décide de prendre la parole, la rigueur et la probité exigent qu'on quitte ses propres manies afin de mieux savoir de quoi ou de qui l'on parle. Et d'autant mieux lorsqu'il s'agit d'une grande chose, ou d'un grand homme. En ce qui concerne Paracelse, le but qu'il poursuivit, toujours extraordinairement clair, n'est autre que la restauration de l’être humain pour la plus grande gloire de Dieu; et l'alchimie qu'il pratiqua en représente le pèlerinage symbolique. Ni plus ni moins.

            Qu'on nous pardonne d'être aussi peu conventionnel et d'essayer d'ouvrir des portes Ià où personne ne veut plus aller; mais, après tout, la vie de Paracelse ne fut rien moins qu'une incessante insurrection contre l'ordre établi et ses indoctes représentants. Et nous ne nous reconnaissons point l'enfant de cette détestable famille.

            Certains êtres, au long de leur vie, restent en perpétuel éveil et leurs yeux ne se contentent pas de voir. C’est sans doute là le seul prix à payer pour pénétrer le mystère. Qui s’avise encore, aujourd’hui, d’avoir ce regard-là, en ce temps où l’observation a sciemment choisi un autre ordre de choses ? Pourtant, entre le ciel et la terre, la respiration ne cesse jamais. Mais la corrélation entre l'invisible et le visible n'a d'existence que pour ceux qui nourrissent une croyance. Or la foi s'est profondément retirée du coeur des hommes. Non pas ce sentiment vague, tout de paroles et d'équivoques, où flotte l'arsenal entier des superstitions, mais ce risque déchirant de chaque instant, au bord de l'abîme du doute, qui fait, quand on a hasardé un pas, qu'on se demande si « ça va tenir ». Car la foi n'est pas autre chose que cette épreuve qu'on fait à Dieu en se jetant, sans la réponse, du haut de son doute. Cette foi, disions-nous, s'est retirée du coeur des hommes : il reste l'indifférence. Le pire. L'état où plus rien ne nous tient ; ne nous retient. Où le tout et le rien se valent. Paracelse, quelque part, parle longuement du désespoir qu'engendre l'indifférence ; et son discours a le poids de la mort. Or l'indifférence est une tare mortelle; celle des hommes assis, des hommes vaincus, ceux qui supputent, calés sur leur large derrière, et n'entament que des palabres; et ce postérieur les accable. Parce que c'est debout que se prennent les risques. Debout, devant et seul.

      En 1541 de notre temps humain, le 24 septembre, s'achevait l'itinéraire terrestre de Théophraste Bombast von Hohenheim, dit Paracelse. Bref et torrentiel passage tout jalonné d'amitiés abruptes, de compassions magnifiques et de somptueux refus. Avec lui s'éteignait le dernier soleil du Moyen-Age. Il restait l'œuvre. Pour qui ?

       Il est tentant de dire : pour nous. Pour nous quatre siècles plus loin et tout au bout de ce millénaire où s'amassent et se mêlent, puis cessent et se taisent les prophéties de tous les âges (comme si quelque invisible et formidable écran empêchait qu'on distinguât plus avant). Pour nous, les derniers venus, et venant en dernier peut-être, pris dans la tenaille géante de la civilisation de la matière, dévorés par la division, le découpage illimité des spécialisations, fascinés par l'immense illusion du nombre et nous hâtant toujours davantage comme s'il était possible d'en épuiser la chaîne éternelle. Pour nous qui n'avons plus pour poser nos pas que le champ du progrès, indéfiniment varié, infiniment variable mais n'accédant jamais à l'espace intérieur et fondamental de l'être où s'allument les vraies révolutions et s'enracinent les vrais bonheurs.

            De tout cela, il résulte que la fréquentation de l'oeuvre de Paracelse n'est pas un acte vain. Qu'on peut y passer vingt ans de sa vie et prodigieusement y apprendre à vivre; à différencier l'or de ses simulacres ; à séparer l'inutile, qui prend toute la place, de l'indispensable qui n'en prend aucune et qui ne coûte rien. Tout est Ià. Or, au degré d'épaisseur et d'exiguïté où nous en sommes, en ce qui regarde les territoires de l'âme, il ne faut plus attendre. C'est ici et maintenant. Ou jamais.