PARACELSE

Archidoxes deThéophraste

Paracelse, Archidoxes de Théophraste, traduction Charles Le Brun et Ruth Klemm, Dervy, 2006

 

 

 

 

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La publication de textes inédits en français de Paracelse est toujours un événement et le présent volume, aux éditions Dervy, est l’occasion d’entreprendre pour les lecteurs français une nouvelle incursion au sein de l’œuvre du « Prince des deux médecines », d’abord grâce à un excellent choix de textes - il regroupe les Archidoxes de Théophraste, les Commentaires des Aphorismes d’Hippocrate ainsi que La philosophie aux Athéniens - ensuite, par la qualité irréprochable de la traduction de Charles Le Brun et de Ruth Klemm.

On sait, en effet, combien les écrits de Paracelse sont difficiles à traduire : une langue « effroyablement lourde et confuse » rend la tâche périlleuse ; et il faut assurément toute la maîtrise et la longue familiarité du traducteur avec la pensée de Paracelse pour parvenir au présent résultat - on doit aussi à Charles Le Brun la traduction de l’Herbarius, Dervy, 1987, et de Quatre traités de Paracelse, Dervy, 1992, dont le fameux Labyrinthe des Médecins errants.

 Outre sa traduction, l’intérêt de ce volume réside donc dans le choix des textes. Paracelse était médecin, avant d’être astrologue, alchimiste ou philosophe. Il estimait que « le médecin doit être le plus élevé parmi les hommes, le meilleur, le plus expert dans toutes les parties de la philosophie, de la physique et de l’alchimie ». Les Archidoxes de Théophraste ouvrent des perspectives sur le Paracelse médecin et alchimiste. Certes, la préface du traducteur nous alerte sur ce point essentiel : « Nous ne conseillons à personne de tenter pratiquement les expériences alchimiques décrites dans les Archidoxes. Compte tenu des activités auxquelles nous nous livrons et du monde qui nous les livre, il est presque impossible d’entrer de plain-pied dans cette œuvre, et par le bon côté. » Toutefois, si l’on met à part les « recettes » de Paracelse, il reste un admirable traité sur l’art alchimique à l’usage des médecins où l’auteur s’attaque, de tout son cœur, selon expression, au « mystère de la nature ».

Les Commentaires des Aphorismes d’Hippocrate se rapportent plus précisément à la médecine. Les vues de Paracelse y apparaissent audacieuses, comme dans toute son œuvre, et s’imposent par une humilité qui concerne autant la médecine de son temps que celle d’aujourd’hui : « Le médecin ne doit pas trop se vanter : il a un maître au-dessus de lui, et c’est le temps, qui joue avec lui comme le chat avec la souris » - « Le médecin doit savoir ce que veut la nature et qu’elle est le Premier Médecin. L’homme vient ensuite. »

 Enfin, c’est au Paracelse philosophe que se rapporte l’important traité intitulé La philosophie aux Athéniens. Il y est question du Mysterium Magnum, de cette « matrice pour toutes les créatures, les sensibles et les insensibles, toutes les plantes, les animaux et autres », mais, et c'est le point essentiel, matrice elle-même incréée : notion aussi fondamentale que négligée par la philosophie occidentale depuis Descartes et qui trouvera cependant une expression grandiose dans l’œuvre de Jacob Boehme.  

 [Extrait] 

Toutes les choses créées dont la nature est périssable ont une origine commune dans laquelle elles ont été déterminées. Elles sont saisies et contenues entre les éthers. Il faut comprendre que toutes les créatures proviennent d’une matière unique et que chacune, en conséquence, n’a pas sa matière spécifique. Cette matière, c’est le Mysterium Magnum. Elle échappe à toute investigation, ne repose sur aucune essence et n’est pas non plus formée d’une image. Elle n’a pas d’attribut propre et de même elle est sans couleur et sans nature élémentaire. Aussi loin que s’étend l’éther, aussi loin s’étend le cercle du Mysterium Magnum. Ce Mysterium Magnum est une mère pour tous les éléments et une grand-mère pour toutes les étoiles, les arbres et les créatures de chair. Et de même que les enfants naissent d’une mère, ainsi, du Mysterium Magnum, sont nées toutes les créatures, les sensibles, les insensibles et toutes celles qui appartiennent au même ordre. Le Mysterium Magnum est une mère unique pour toutes les choses mortelles, lesquelles ont pris leur origine en lui et non ailleurs, dans une unique création, une substance, une matière, une forme, une essence, une nature et une inclination données.

 [Extrait de la préface] 

Dans l’œuvre de Paracelse, tout est scruté, tout est envisagé de ce qui regarde le destin des êtres et leur place dans la Création : leur origine, leur situation au sein des règnes de la nature, le sens de leur vie, le sens de leur mort. Le mystère du temps. Le mystère de Dieu. L’éternité. La Philosophie aux Athéniens est riche en remarques et réflexions portant sur ces questions. Toutes mériteraient des développements tant elles sont chargées de sens, de sous-entendus : le Mysterium Magnum, la séparation primordiale, la Turba magna, l’evestrum, le grand Rassemblement et la grande Récolte, le chaos et la Terre fondamentale. Autant d’évocations lourdes de suggestions et susceptibles d’éveiller chez le bon lecteur les bonnes interrogations et, qui sait ? d’appeler les bonnes réponses. Or le bon lecteur, c’est celui qui ne s’est pas verrouillé dans les limites étroites de la pensée rationnelle ; celui qui sait encore qu’autour de lui se déploie le vaste miroir du macrocosme : ce prodigieux monde invisible avec ses myriades de créatures qu’aucune logique ne gouverne, dont le rôle, les pouvoirs, l’efficience n’obéissent pas à nos lois. Tout ce pan de la réalité qui échappe à l’homme pressé, à l’homme hâtif, ce fruit inattentif de la modernité ; l’égaré, l’absent, aveugle aux signes de plus en plus insistants et de moins en moins reçus que lui livre à profusion l’écrasante et dérisoire "actualité".

Les hommes d’alors - et plus encore leurs devanciers - avaient leurs raisons de croire ce qu’ils croyaient. Et ces raisons n’étaient pas forcément mauvaises. Leur univers, bruissant de vies immatérielles, s’ouvrait sur des horizons différents et répondait à des structures que nos investigations actuelles ont totalement rejetées. Paracelse, pour sa part, n’en finit pas d’énumérer ces entités qu’il faut évidemment se garder d’estimer pour ce qu’elles ne sont pas. Une suite d’appellations résolument sibyllines telles que lorint, anwat, trifertes, neufareni, durdales, diemaeae, mechili. Et beaucoup d’autres, obstinément, opiniâtrement résistantes à l’analyse. Tout un assortiment vocabulaire propre à mettre un nom sur ce qui précisément n’en a pas. Ne relève d’aucune nomenclature.