Aujourd'hui, 25 décembre 1861, jour de Noël,
Les électeurs de la tribu de Canglo se sont réunis
sous la présidence du cacique Leviou afin de délibérer sur ma proposition d'établir en
Araucanie et en Patagonie une monarchie constitutionnelle et de m'élire roi, avec droit
perpétuel d'hérédité dans ma famille, suivant un ordre à déterminer.
Après en avoir délibéré, lesdits électeurs m'ont
élu et proclamé roi de Patagonie et d'Araucanie, dans les termes indiqués.
Fait en Araucanie, les jours, mois et année
ci-dessus mentionnés.
Signé : Orélie-Antoine 1er
Par le roi, le colonel Leviou, cacique de Canglo
"La puissance du rêve! Liturgie imaginaire. La
lisant, je l'ai vue. Je l'ai vécue moi aussi. Un court instant, mais cela
suffit. Ce pèlerinage fantôme, je l'ai senti comme une vérité du royaume.
S'agenouiller aux frontières du monde fini, arracher son âme de chair et l'élever vers
l'horizon opaque où l'homme n'a pas accès, derrière lequel veille son double divin dans
un océan de lumière, telle est notre façon de prier, à nous autres Patagons... Encore
faut-il en être conscient. Deux pages de divagation et puis cette brève lueur. Il n'y en
aura pas d'autre. C'est égal : pour parler trivialement, elle amortira la chute."
Le jeu du roi
"Mes sujets sont morts. Ils ont
traversé mon royaume comme des ombres et je n'ai rien pu éviter. Avant même ma
quatrième et dernière tentative de reconquête, l'inévitable était perpétré et je
n'étais plus le roi que d'un royal néant. Les soldats argentins ont massacré les
Puelches et les Tehuelches, grandes tribus de Patagons. Mort leur terrible cacique
Calfucura dont je crois bien me souvenir qu'il m'accueillit en roi, peu de temps mais en
roi, dans ma capitale patagone de Choele Choel. Assassinés par des chasseurs blancs de
phoques, exterminés par les épidémies semées tout au long du détroit de Magellan par
des équipages de brutes, les Onas de Magellan, les Yaghans de Terre de Feu, les Alakalufs
des fjords du Chili, recrus de misère et de désolation, ont fui dans leurs canots au
plus profond des tempêtes australes. Le siècle du progrès, du chemin de fer, de
l'hélice, de la vapeur, du gaz d'éclairage, du télégraphe électrique, des porteurs de
rentes affamés de bénéfices, est un siècle impitoyable, je l'ai compris trop tard.
(...) C'en est fini des Fuégiens que méprisaient déjà M. Charles Darwin et qui furent,
parmi mes sujets, ceux que j'ai le plus aimés... Vaincus par les soldats chiliens,
décimé, décérébrés, parqués dans des reducciones, mes guerriers mapuches
et araucans qui me firent roi le 16 novembre 1860... Mort leur cacique Quillapan, qui fut,
je crois bien m'en souvenir, le Ministre de la Guerre de mon gouvernement royal... Je suis
seul."
Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie
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