Trois lettres de Louis Massignon à Théodore Monod

Théodore Monod est alors Directeur de l'Institut Français de Dakar

Documents

Colloque Louis Massignon (1990)
Témoignage sur Louis Massignon (1990)
Correspondance (1990)
Forum méhariste de Saint Poncy (1999)

 

 

Retour à Théodore Monod

 

(Ces lettres ont été confiées à l'auteur par Théodore Monod lui-même)

 

Retour à Louis Massignon

Lettre du 8 décembre 1938

    Monsieur le Secrétaire Général et cher Collègue,

    Je vous connais en effet depuis longtemps déjà indirectement et par une série d'amis communs dans l'esprit même que le début de votre lettre souligne.

    Votre lettre m'arrive la veille même de mon départ pour la session du dictionnaire de l'Académie Royale de langue Arabe au Caire. Je ne reviendrai que fin Février à Paris. Il me paraît impossible de pouvoir vous donner avis sur le manuscrit en question avant mon retour. Pardonnez-moi ce retard bien involontaire de deux mois.

    Je vais emporter le manuscrit avec moi car s'il y avait urgence, je tâcherai (sic) de le lire en voyage, et s'il fallait vous le renvoyer, je vous le renverrai (sic) avec mon avis.

    Veuillez accepter, Monsieur le Secrétaire Général et cher Collègue, les hommages de ma très sympathique pensée.

Lettre du 14 mars 1939

    Monsieur le Secrétaire Général, et cher Collègue,

    Rentré depuis quinze jours de mission, je puis enfin répondre à votre demande relativement à ce très curieux manuscrit d'un Tidjani de Bandiagara. En avez-vous plusieurs exemplaires ou puis-je garder quelque temps encore cette copie dactylographiée qui m'intéresse.

    L'auteur n'a certainement pas rédigé tout seul cet étonnant document et le mélange très attachant qu'il y a de traditions tidjaniennes authentiques et d'additions "théosophiques" dûes (sic) à l'influence personnelle d'un français (sur place vous pouvez peut-être me dire de qui il s'agit, j'ai pensé à Dupuis Yakouba, mais il doit être trop vieux) me gêne un peu car, tout de même on ne peut présenter ni publier comme un document soudanais autochtone un texte qui, pour toute une partie, transforme l'arithmologie mystique traditionnelle des tidjaniens suivant une théorie théosophique française (d'ailleurs assez banale). Ce qui me frappe et qui semble bien de l'auteur, c'est une certaine force de pensée, une démarche dynamique et une expérience certaine de la direction de conscience des noirs auxquels ces Peulhs s'imposent par un ascendant intellectuel incontestable. Ceci n'est qu'une première impression et je vous récrirai d'ailleurs plus longuement.

    Merci d'avoir pensé à moi pour cette expertise qui m'intéresse d'autant plus que je traite cette année au Collège de France le sujet général des "congrégations musulmanes".

    Bien amicalement à vous.

Lettre du 6 juin 1939

    Monsieur le Directeur et cher Confrère,

    A peine étais-je retourné de ma mission en Orient que j'ai dû repartir en avion pour Téhéran, et l'achèvement de mes cours me retient jusqu'à la fin de la semaine. Je tiens néanmoins à vous renvoyer sans plus tarder le manuscrit de Hampaté Ba. Je l'ai lu très attentivement. Nous y avons trois choses :

    D'abord un effort très intéressant, tout à fait spécifiquement tidjani, de trouver une méthode d'apologétique musulmane adaptée à des illettrés. Utilisation de tableaux avec des points et des cercles mnémotechniques.

    2° - un goût très prononcé pour l'arithmologie musulmane classique, et là encore, il semble dans une ligne traditionnelle, qu'il accentue néanmoins de façon notable,

    3° - enfin, l'utilisation de mots français et de procédés européens (addition théosophique) qu'il a certainement puisés dans des livres d'occultisme du genre de Papus, et cette partie est la plus discutable, à la fois au point de vue originalité personnelle et au point de vue adaptation quant aux idées qu'il veut défendre qu'aux milieux qu'il désire atteindre.

    Je souhaiterais, en somme, si vous envisagez la publication à titre documentaire de son travail, que vous signaliez l'inconvénient du vocabulaire théosophique qui s'épanouit dans toute la seconde partie de son ouvrage.

    Veuillez accepter, Monsieur le Directeur et cher Confrère, les hommages de ma très fidèle et toute sympathique pensée.