► Le Maître

« Le maître véritable est celui qui porte en lui-même le livre spirituel de la connaissance écrit par le doigt de Dieu, c’est-à-dire par l’opération de l’illumination qui vient de lui, et qui n’a plus besoin d’autre livre. »

Saint Jean Climaque

Pas d’ésotérisme sans initiation, tel est le premier principe. Le second principe est celui-ci : pas d’ésotérisme sans un maître.

 

 

SOMMAIRE

Thèmes typiques

L'initiation - La discipline de l'Arcane et le Secret - Théories cycliques - Le Centre spirituel - Le Monde supra humain - La voie ésotérique : Essai de géosophie

 

 

 

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Voir aussi Le Maître intérieur

 

 

Le maître est le guide du pèlerin de l’Orient, maître visible ou invisible, vivant ou non, qui le conduira jusqu’au terme de sa première étape, à la Source de la Vie. C’est pourquoi ce maître peut être celui que les musulmans nomment al Khadir, le Verdoyant, et qui est Saint Élie pour les chrétiens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           L’Étranger

« L’étranger est celui qui, là où il est, se comporte avec connaissance comme un homme qui parle une langue étrangère parmi des gens qui usent d’une autre langue. » Saint Jean Climaque

           Le thème de l’Étranger regroupe plusieurs notions. L’étranger, c’est d’abord le gnostique lui-même, l’homme que la démarche intérieure, son chemin vers l’Orient, conduit à devenir étranger à ce monde et en ce monde. C’est une première acception que l’on rencontre dans l’ensemble des traditions ésotériques, et, par exemple, dans la tradition hébraïque, à propos du « nomadisme » hébreu qui est « la préfiguration du nomadisme intégral, tel qu’il appert du Psaume CXIX, 19 : « Je suis un étranger (guer) sur la terre ».

          L'Étranger peut tout aussi bien se présenter comme une Présence soudaine dans le secret du cœur. Il s’agit ici de la présence ineffable que l’on rencontre dans les récits des mystiques chrétiens.

            La « Visitation de l’Étranger » de Louis Massignon constitue un exemple typique de cette Présence soudaine, dont l’irruption constitue un bouleversement, « une rupture interne de nos habitudes, un bref trouble cardiaque, point de départ d’un nouvel ordre de nos comportements personnels », comme il l’écrivait –, en un mot, cette Présence provoque une commotion.

            C’est bien la même « commotion » qui toucha Pascal, la même Présence soudaine qui le visita, le 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi ». Un seul mot : « Feu » lui servit à la qualifier.

            Mais, c’est aussi, dans l'ordre ésotérique une personne mystérieuse qui fait soudainement irruption dans l’existence de celui qui n’a pas encore commencé son pèlerinage vers l’Orient. Elle est celui qui lance l’appel – la da’wa – qui invite à s’expatrier de soi et du monde terrestre pour marcher vers le monde de l’âme. Toutefois, cet étranger n’est pas forcément celui qui initie. C’est pourquoi il existe une autre figure du même Étranger à prendre en considération et que l'on peut désigner comme l'Inconnu, qui est à la fois l’annonciateur et l’initiateur.

             L'Inconnu

          

            Cet Inconnu est certes un Étranger, venu « d’ailleurs » – ce qui pose une autre question, celle du lieu dont il est originaire –, il lance ainsi le premier appel à « sortir de chez soi », à quitter l’exil occidental, et dans le même temps confère l’initiation à celui qu’il appelle en lui transmettant l’influence spirituelle.

             Voici deux exemples typiques, le premier dans un contexte islamique, où l’on reconnaîtra al-Khidr, le « Verdoyant », le « maître des sans-maîtres »,  et le second, dans une dimension chrétienne.   

             « Un soir après le dîner, je me levai de ma boutique et me dirigeai vers un endroit désert des environs pour y faire les ablutions. J’entendis alors une voix agréable, ma conscience secrète en fut ébranlée et mon désir attisé. Je dis : « Eh ! L’homme à la voix, attends-moi. » Je me dirigeai vers la colline toute proche, et je vis une personne belle ayant la prestance des maîtres spirituels. Or, je ne pus proférer la moindre parole. Lui en revanche me dit quelques mots concernant la doctrine de l’unité divine, que je ne compris point mais qui éveillèrent en moi un ravissement et un amour fou. Je sombrai dans l’inconscience : il me semblait que des gens circulaient autour de moi et que je me trouvais dans quelque ruine. Je demeurais ainsi jusqu’à ce que fût passée une partie de la nuit et que je fusse revenu à moi. Puis je retournai à ma boutique, où je restais jusqu’au petit matin en proie à l’extase, à l’agitation, gémissant et pleurant à chaudes larmes. Je demeurai interdit et fou d’amour. Ces mots coulaient involontairement sur ma langue : « Pardon, Ton pardon ! » Puis cela s’apaisa (…) Je restais assis une heure, et l’extase me submergea. Alors je jetai en chemin le coffre et ce que contenait la boutique en prévision des jours de disette, je lacerai mes vêtements. Je courus au désert où je demeurais en cet état une année et demie… ».

             « Il me raconta lui-même que pendant qu'il était en apprentissage, son maître et sa maîtresse étant absents pour un moment, un étranger vêtu très simplement, mais ayant une belle figure et un aspect vénérable, entra dans la boutique, et prenant une paire de souliers, demanda à l'acheter. Mais il n'osa pas les vendre; l'étranger insistant, il les lui fit un prix excessif, espérant par là se mettre à l'abri de tout reproche de la part de son maître, ou dégoûter l'acheteur. Celui-ci donna le prix demandé, prit les souliers, et sortit. Il s'arrêta à quelques pas de la maison, et là d'une voix haute et ferme, il dit : Joseph, Joseph, viens ici. Le jeune homme fut d'abord surpris et effrayé d'entendre cet étranger qui lui était tout à fait inconnu l'appeler ainsi par son  prénom de baptême; mais s'étant remis, il alla à lui. L'étranger, d'un air sérieux mais amical, porta les yeux sur les siens, les fixa avec un regard étincelant de feu, le prit par la main droite, et lui dit : Joseph, tu es peu de chose, mais tu seras grand, et tu deviendras un autre homme, tellement que tu seras pour le monde un objet d'étonnement. C'est pourquoi sois pieux, crains Dieu, et vénère Sa parole; surtout lis soigneusement les Écritures saintes, dans lesquelles tu trouveras des consolations et des instructions, car tu auras beaucoup à souffrir, tu auras à supporter la pauvreté, la misère et des persécutions; mais sois courageux et persévérant, car Dieu t'aime et t'est propice. Sur cela l'étranger lui serra la main, le fixa encore avec des yeux perçants, et s'en alla, sans qu'il y ait d'indices qu’ils ne se soient jamais revus. Jacob Boehme n'en faut pas peu étonné et de cette prédiction et de cette exhortation. La physionomie de cet inconnu lui planait toujours devant les yeux ».

D’où vient cet Inconnu? 

De l’Orient, ou, en d’autres termes, du Centre suprême. C’est à propos de cette anecdote que René Guénon dira que Jacob Boehme a reçu effectivement une initiation, même si cela se passa indépendamment de toute initiation régulière communiquée par un maître, au sein d’une organisation initiatique.

Note sur l’ésotérisme chrétien

En termes d’ésotérisme chrétien, il n’existe pas d’autre maître que le Christ lui-même, et d’autre initiation que le baptême. Cependant des voies différentes sont offertes au disciple de ce maître unique : voie de salut, voie d’union mystique, voie de « délivrance ». A l’origine du christianisme on trouve donc un seul maître, des apôtres et leurs successeurs, les évêques, et des docteurs, selon Clément d’Alexandrie. Ces derniers se rattachent eux aussi à un enseignement apostolique (celui de Jean), mais selon une autre généalogie que celle des évêques. Il s’agit d’un enseignement secret qui forme ce qu’on peut appeler l’ésotérisme chrétien. Ces docteurs peuvent être tenus pour des initiateurs au sens ésotérique du terme et par conséquent pour des maîtres.

Si on se demande à quel maître chrétien aujourd’hui se rattacher, il faut en priorité s’attacher à un seul maître qui est le Christ. Ensuite, il faut considérer à quelle voie on appartient – c’est le Christ lui-même qui apporte la réponse. Si c’est la voie mystique, alors il convient de se reporter à l’enseignement mystique d’un Saint Jean de la Croix ou d’une Sainte Thérèse d’Avila. Naturellement, ni le directeur de conscience, ni le « berger », comme dans les groupes charismatiques, ne sont des maîtres. Mais l’enseignement, lui, est accessible, et c’est la grâce divine qui permet de progresser dans cette voie de l’union mystique. S’il s’agit de la voie ésotérique, il faut bien admettre que les « docteurs » n’existent plus en chrétienté occidentale, mais leurs enseignements demeurent et ils sont accessibles aux aussi, si l’on prend le Christ comme maître. Enfin, on trouve des « docteurs » dans l’Orient chrétien qui ont su préserver la tradition (Mont Athos).

Une dernière remarque : alors qu’il est simple dans les religions comme le Judaïsme ou l’Islam de devenir disciple d’un maître kabbaliste ou d’un maître soufi, d’en recevoir l’initiation, pour progresser ensuite dans la voie ésotérique, c’est aussi sans la médiation spirituelle du Christ. Médiation qui est effective pour le baptisé, avec les grâces divines qui y sont attachées, tandis qu’il n’y a plus de maître, de « docteurs », dans le christianisme, pour le disciple qui veut s’engager sur la voie de la Connaissance. Du moins, encore une fois, dans la chrétienté occidentale.