La Kabbale ou l'ésotérisme hébraïque

« Tout ce qui est réel dans l’homme, dans son être, dans son esprit, dans son âme et son corps, est « préfiguré » et actualisé par les Sephiroth. Plus « l’homme d’en bas » s’approche spirituellement de l’Unité sephirothique, plus il est proche de sa propre « Figure » infinie, « l’Homme d’en haut », qui fait éternellement un avec Dieu »

Léo Schaya, L’Homme et l’Absolu selon la Kabbale 

Documents : Torah - Kabbale théosophique et Kabbale extatique

 

 

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Références Bibliographiques

A-D Grad, Pour comprendre la Kabbale, Dervy, 1999 - Z’ev ben Shimon Halevi, La Cabbale, Le Seuil, 1980 - Le Zohar, Le Livre de la Splendeur, trad. Gershom Scholem, Le Seuil, 1980 - Léo Schaya, L’homme et l’absolu selon la Kabbale, Dervy, 1995

 

 

 

 

Qu’appelle-t-on Kabbale ?

La Kabbale est la voie de l’ésotérisme hébraïque, et même elle est la forme spécifiquement hébraïque de la Tradition primordiale, comme le soufisme en est la forme musulmane, et l’ésotérisme chrétien, la forme spécifiquement chrétienne.

            Elle repose entièrement sur cette singularité de l’Écriture sainte, selon ce qu’en rapporte le Zohar : « Dans chaque parole de l’Écriture, le Saint, béni soit-il, a caché un mystère suprême qui est l’âme du mot, et d’autres mystères moins profonds, qui sont l’enveloppe du premier mystère. L’homme profane ne voit que dans chaque mot que le corps, c’est-à-dire le sens littéral. Par contre les hommes clairvoyants voient dans chaque mot l’enveloppe qui entoure l’âme et, à travers cette enveloppe, ils entrevoient l’âme bien que la vue claire et nette de cette âme leur soit impossible. »

            Ainsi la Sagesse d’en Haut qui fut révélée à Moïse, au mont Sinaï, en même temps que le Pentateuque, la Loi écrite, l’exotérisme du judaïsme, constitue la connaissance cachée qui est l’objet de l’ésotérisme hébraïque : « La Kabbale, Loi orale secrète, recoupe le Pentateuque, la Loi écrite, qu’elle transcende. » Le mystérieux guide de Moïse mentionné dans le saint Coran – et que l’on identifie à Khidr – est le dépositaire, lui, d’une « Science émanant de nous » que Dieu lui a conférée (XVIII, 65).

            Mais la Kabbale, en tant que tradition ésotérique, remonte naturellement à Adam, à l’Adam de notre présent cycle, et en tant que Science sacrée, elle remonte même à l’origine de Dieu et des choses, car elle « est la Science de l’Etre par excellence »

            La Kabbale, c’est aussi un livre, le fameux Zohar, ou Livre de la Splendeur, attribué au maître Siméon bar Yo’haï, rabbin de Palestine qui vivait au 2ème siècle de notre ère, mais dont l’auteur est de manière plus vraisemblable Moïse de Léon. Le Zohar aurait donc été composé en Espagne, à la fin du 13ème siècle. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage reste le plus important de toute la littérature kabbalistique.

             La Kabbale est moins une technique, qu’un « mode de vie spirituelle », qui a été incarnée par quelques grands noms, tous des docteurs juifs, tels que Siméon bar Yo’haï, Abraham Aboulafia, Moïse de Léon, bien sûr, Moïse Cordovera, Isaac Louria (1534-1572), etc, chacun développant sa propre approche. Enfin, si la Kabbale, à strictement parler, est une « voie de connaissance », qui « traite à la fois de l’essence de Dieu et des causes premières, de la création ainsi que de la connaissance des principaux noms sacrés et de leur énonciation exacte », et si elle se réfère principalement au Zohar, elle a aussi connu un développement original à compter du 18ème siècle, avec le Hassidisme. On peut dire que « les hassidim font apparaître la Kabbale davantage comme une introduction à la vie sainte et à l’amour de Dieu que comme une science d’une rigueur tout intellectuelle ». On se trouve donc ici plutôt dans une voie d’amour, où la prière l’emporte sur les actes et même sur l’étude de la Torah. Alors qu’on raconte que « Siméon bar Yo’haï avait médité pendant sept années de suite sur la Torah sans s’en écarter un seul instant pour se livrer à ses prières. » Donc, une prière, qui est centrée sur l’attachement à Dieu, la « contemplation » (devequt) : « C’est quand l’homme est dépouillé de tout et qu’il ne peut plus trouver les mots pour prier qu’il peut vraiment être proche de la prière. Mais il y a une façon de voir encore plus haute. Quand l’homme n’a plus aucune volonté propre, quand il n’a plus pour lui que son Créateur, quand il ne sait plus comment prier à cause de la crainte qu’il éprouve et de son attachement à Dieu (…), il n’a qu’à dire alors, comme il est écrit : « Seigneur, ouvre mes lèvres » (Ps 51, 17). Il reste que pour les kabbalistes traditionnels, le Hassidisme apparaît comme un ésotérisme juif populaire, ou comme "la Kabbale devenue éthique".

             Pour en revenir à la Kabbale proprement dite, celle-ci se distingue par un mode opératoire pour lequel elle dispose d’instruments : un alphabet et des textes sacrés et les sephiroth.

Sephiroth

Les sephiroth ou « nominations pures », qui sont au nombre de 10, comptent parmi les 32 « mystérieux chemins de Sagesse » selon lesquels Dieu a créé le monde - les 22 autres « sentiers » étant constitués des 22 lettres de l’alphabet hébreux. Ces 10 sephiroth sont 10 aspects de l’Un par lesquels l’Un se manifeste, autrement dit, ils sont les « intermédiaires » entre l’Être et la création.

            La création elle-même a été rendue possible par le « retrait de Dieu à l’intérieur de lui-même », selon la théorie d’Isaac Louria (1534-1572), qui demeure le maître de la Kabbale dite de Safed, la théorie du tsimtsoum, selon laquelle « Dieu s’est exilé en réservant à l’intérieur de son propre Être « une sorte d’espace mystique » pour la Création ».

            Au-dessus du monde des sephiroths « par lequel Dieu se manifeste », se place le monde caché de l’En-Sof, la « Volonté suprême », monde qui est sans commencement ni fin et qui demeure tout à fait inaccessible à l’homme. Chaque sephira est l’archétype d’un membre ou d’un organe de l’homme, l’unité séphirotique est appelée « l’Homme d‘en haut »

            Kether – la Couronne – est la première sephirah et la 10ème est Malkhout, - le Royaume. Les autres sephiroths unissent donc la Tête, le « Point suprême » où commencent les mystères intelligibles au Malkhout, qui est le Royaume. 

            De Kether émanent les 22 lettres de l’alphabet, et naissent aussi d’une part la Sagesse, ou le Père, car « sans elle il n’y aurait pas de commencement » et, d’autre part, l’Intelligence qui est appelée la Mère. Kether est, enfin, « l’Essence pure et divine » de l’homme.

            La seconde sephirah est Hochmah, la Sagesse, elle est le souffle qui vient de l’esprit et, pour l’homme, elle est sa connaissance de Dieu. La troisième est Binah, l’Intelligence, elle est l’eau, et le discernement de l’homme entre le réel et l’irréel. La quatrième est Hesed, la Miséricorde, elle est le feu, et la nature lumineuse de l’homme qui aspire toujours au Divin. La cinquième est Géburah, la Rigueur, ou Dîn, le Jugement, qui est le jugement véritable de l’homme sur toutes choses. La sixième est Tiphereth, la Beauté, qui est la beauté extérieure et intérieure de l’homme, sa sérénité et son amour. La septième est Netsah, l’Éternité, elle est sa « puissance spirituelle ». La huitième est Hod, la Gloire (ou la Réverbération), qui est sa force naturelle. La neuvième est Yesod, le Fondement, qui est l’activité de l’homme. Les six dernières sephiroth représentent également les quatre points cardinaux et les deux pôles. Il faut également ajouter Daath, la science qui est née de l’union de la Sagesse et de l’Intelligence, quoiqu’elle n’appartienne pas aux dix sephiroth traditionnels.

Che’hina

La 10e sephirah, Malkhout ou Royauté représente la « Présence de Dieu » ou la « présence réelle » de la Divinité : la Che’hina. (On aura reconnu naturellement la Sakinah arabe, qui est la « Grande Paix »). « Selon la doctrine cachée, il est du devoir des hommes de foi de diriger tout leur esprit et toute leur intention vers la Shekina », dit le Zohar. La Che’hina est , en effet, la « Résidence divine », le principe féminin en Dieu, séparée de son principe masculin, qui est le Saint, béni soit-il, Kadoch Baroukh Hou. C’est tout le drame de la Chute, de la séparation des deux principes en Dieu, et de l’Exil de la Che’hina qui constitue l’Histoire depuis les temps paradisiaques jusqu’à la venue du Messie Roi.

            L’exil de la Che’hina et sa séparation d’avec le Saint, béni soit-il, a donné lieu à des développements particulièrement suggestifs. Ainsi le Zohar rapporte-t-il cet enseignement de Siméon bar Yo’haï : « Il incombe à l’homme d’être male et femelle », toujours, afin que sa foi puisse rester inébranlable et que la Présence divine [ la Shekina ] ne l’abandonne jamais. Tu pourrais demander : qu’en est-il de l’homme qui part en voyage et qui, loin de sa femme, cesse d’être « mâle et femelle » ? Cet homme, avant de se mettre en route, alors qu’il est encore « mâle et femelle », doit prier Dieu pour attirer à lui la Présence de son Maître. Quand il a prié et rendu grâces, tandis que repose sur lui la Présence divine, alors il peut partir car, grâce à son union avec la Présence divine, il est à présent mâle et femelle dans la campagne de même qu’il était mâle et femelle dans la ville. »

            Une des principales fonctions de la Che’hina est, toujours selon le Zohar, de servir « d’intermédiaire au monde d’en haut pour correspondre avec celui d’ici-bas, et aussi d’intermédiaire au monde d’ici-bas pour correspondre avec celui d’en haut. Ainsi, elle est la Médiatrice parfaite entre le ciel et la terre. »

             A cette Présence divine, enfin, est associé l’Ange Metatron, ou, l’Ange des Théophanies, « l’Ange de la Face », dont René Guénon fera remarquer, dans son Roi du monde, qu’il est le « Pôle céleste », comme « le chef de la hiérarchie initiatique » est le « Pôle terrestre ». L’un et l’autre sont d’ailleurs « en relation selon l’Axe du monde »

Les instruments de la Kabbale

Alphabet

Les 22 lettres-consonnes de l’alphabet hébreu ont une valeur numérique, et elles traduisent « la réalité ontologique ». L’alphabet hébreu ne peut en aucune manière être comparé aux alphabets des langues profanes, sauf à l’arabe, mais l’arabe n’est justement pas une langue profane. On fera remarquer, après René Guénon, que les mots qabbalah, Kabbale en hébreu, et qibla, qui désigne l’orientation rituelle, en arabe, ont la même racine Q B L – ainsi d’ailleurs que la même orthographe. Par ailleurs, du fait de leur valeur numérique des consonnes, « des mots de consonnes différentes, mais de valeurs correspondantes, possèdent un radical ontologique identique ». Cette singularité de l’alphabet hébreu fera dire à A-D Grad : « On ne conçoit d’ailleurs pas d’autre langue idéale, où la différence entre l’Homme (Adam : Aleph-Daleth-Mem, soit 1+4+40+45) et la Femme (‘Havah - ‘Heth -Vav - Hé, soit 8+6+5 = 19) peut donner le nombre de Yahweh, c’est-à-dire 26 (45-19=26) ».

          A partir de l’alphabet hébreu, Les kabbalistes ont donc développé une véritable science des lettres, qui repose sur des combinaisons multiples et divers procédés, dont la guématrie, qui consiste à comparer deux mots de même valeur numérale.

          Il existe d’autres procédés (plus de 70) dont les plus connus sont la notarique qui isole les lettres d’un mot et les confronte à d’autres mots, - exemple Adam (Alef, Dalet et Mem) et Abraham, Dawid, Messiah - et encore la thémourie qui consiste à substituer à une lettre la lettre qui suit immédiatement – « il faut un « langage en mouvement » pour un « homme en mouvement ».

Textes chiffrés

Les kabbalistes opèrent sur des textes chiffrés tous tirés de l’Ancien Testament, qui reste le seul document traditionnel non tronqué – à l’exception notoire du saint Coran. Ils privilégient le Livre de la Genèse, et le Livre d’Ezéchiel. Mais aussi le premier chapitre du Livre de la Genèse, et le premier verset qui « contient déjà tout le Livre », et le premier mot qui, lui-même « contient le premier verset ». « Et la première lettre du premier mot, beith, de valeur numérique 2, renferme à elle-seule toute une cosmogonie ». Autre livre d’une égale importance pour les kabbalistes : Le Cantique des Cantiques : « De tous les cantiques qui existent, dit le Zohar, aucun n’est aussi agréable au Saint Béni soit-il, que le Cantiques des Cantiques ». Il est dit également qu’il renferme « tout ce qui existe, tout ce qui a existé, tout ce qui existera » et aussi que « tous les événements qui se passeront au septième millénaire, qui est le Sabbat du Seigneur », s’y trouvent résumés.