De l’Islam en Europe à l’Islam européen

SOMMAIRE

Tarek Ramadan : Les tranchées du conflits

 Voir aussi Islam et islamisme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour à Islam - Toute l'actualité - Retour à Sommaire 

De Dante, avec sa Divine Comédie, à Goethe, avec son Divan Occidental Oriental, et au Fou d’Elsa d’Aragon *, dans les années 1950, trois parmi les plus grands poètes européens, ont rendu hommage à l’immense richesse culturelle du monde arabo-musulman. Non seulement rendu hommage, mais aussi composé une œuvre magistrale, qui constitue, chacune, un remarquable essai d’interpénétration culturelle.

Il faut bien comprendre ceci : « Nul peuple ne peut se soustraire à tout contact avec l’étranger. L’influence de celui-ci ne saurait d’ailleurs lui être néfaste. Elle ne peut, au contraire, que stimuler ses forces créatrices aussi longtemps que, sans se laisser submerger, il sait conserver son génie propre »

Il revient donc à chacune des parties de garder son génie propre.

Voici, par exemple ce qu’écrivait Najm Oud-dine Bammate, à propos de Goethe : « Je lui rappellerai qu'un autre Occidental a dit : « Si tel est l'Islam, nous sommes tous musulmans. » C'était Goethe. Après cette phrase qu'est-ce qu'il a fait? Il a écrit le Faust... qui est une des oeuvres les plus occidentales qu'on puisse imaginer ».

On pourrait en dire tout autant de la Divine Comédie de Dante ou du Fou d’Elsa d’Aragon.


 

* Le Fou d’Elsa, qui est Aragon lui-même, fait référence à l’histoire de Majnoun et Leila

 

Parler de l’Islam européen, plutôt que de l’Islam en Europe n’est pas neutre.

Parler de l’Islam en Europe, c’est évoquer les modalités d’intégration des musulmans qui vivent en Europe dans une civilisation qui leur est a priori étrangère.

Parler de l’Islam européen, c’est considérer que l’Europe peut s’enrichir d’une civilisation qui lui est a priori étrangère.         

La situation de l’Islam en Europe pose la question de son intégration.

La présence d’un Islam européen, celle d’un échange entre deux civilisations.  

Il n’est donc pas exagéré de dire, qu’avec l’Islam européen, les conditions sont réunies d’un véritable enrichissement mutuel de deux civilisations anciennes et longtemps rivales, mais en fin de compte complémentaires.

 

Les premières années du 21ème siècle sont placées devant la réalité d’un « choc des civilisations », qui donne lieu à des affrontements de plus en plus violents dans le monde : les guerres (en Afghanistan, en Irak), les actions terroristes en Europe, le conflit palestinien.

 

Ce commencement du siècle est par conséquent partagé entre la peur des uns, les aspirations des autres, et aussi l’espoir de quelques uns, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, d’une nouvelle rencontre entre l’Islam et l’Europe.

Peut-on préciser ?

 

On connaît, d’abord, la peur, en Occident, de l’Islam européen, qui fait que certains pays européens réagissent de manière à interdire tout dialogue. On pense naturellement, en France, à la Loi sur la laïcité, mais la politique de ghettos de la Grande-Bretagne, le Londonistan, est-elle préférable ?

On n’ignore pas non plus les aspirations, en Orient, des peuples musulmans à l’égalité des chances Nord/Sud, à la reconnaissance de l’Islam, religion et communauté à l’échelle de la planète, à côté de l’Europe, du monde anglo-saxon, de l’Asie.

Mais on connaît moins, enfin, l’espoir d’une nouvelle forme de rencontre de l’Orient et de l’Occident, par le biais de l’Islam européen, qui commence à prendre forme, chez des intellectuels, européens et musulmans. On pense ici, en particulier, à Tariq Ramadan et à Alain Gresh.

 Or, cet espoir est fondé sur une autre réalité, historique, qui est l’existence, pendant des siècles, d’échanges culturels et religieux entre l’Europe, la Chrétienté et l’Islam. Cependant, dans le sens d’une influence de l’Orient sur l’Occident, il s’agit d’exemples qui remontent au moyen âge.

Et depuis ?

 

L’influence existe en sens unique, de l’Occident en direction de l’Orient – si l’on veut bien oublier l’Orient de pacotille, des Mille et une nuits, mis à la mode à l’époque romantique (à l’exception de Nerval : voir son Voyage en Orient).

Il faut surtout reconnaître que l’apport de l’Orient vers l’Occident est tari.

C’est l’Europe désormais qui influence l’Orient, exporte sa technologie vers l’Orient et avec elle sa civilisation – démocratie, droits de l’homme, etc., mais aussi films insipides ou violents, télé-réalité, Mac Donald, etc. Avec également son architecture déplorable : Il suffit de visiter certaines cités du monde arabo-musulman, telles que Fez, Le Caire, ou Sana’a, pour constater qu’autour de ce que les guides appellent « la vieille ville », qui forme un témoignage brillant de l’art islamique, s’élèvent des bâtiments modernes typiques d’un Occident que l’on peut dire de « deuxième ordre ».

 

En fait il s’agit presque exclusivement d’une influence d’ordre technologique, et, de ce point de vue, on connaît depuis longtemps le problème de l’apport de la technologie en Orient. C’est, par exemple, Ernest Psichari rapportant dans Voix qui crient dans le désert son dialogue avec un Mauritanien, en 1920 : « Oui, vous autres, Français, vous avez le royaume de la terre, mais nous les Maures, nous avons le Royaume du Ciel ».

Vers la même époque, René Guénon disait aussi : « On peut faire preuve d’intelligence autrement qu’en construisant des machines».

Est-ce à dire qu’il existe une supériorité spirituelle de l’Orient sur l’Occident ?

           Quoi qu’il en soit, ce qui reste indéniable, c’est l’apport historique considérable de l’Orient à la chrétienté latine et donc à l’Europe, dans des domaines aussi divers que la philosophie, la musique, la linguistique, les mathématiques, l’astronomie, etc., c'est aussi que ces apports peuvent désormais se renouveler, à la faveur de la présence de millions de musulmans en Europe, dans le contexte d'un Islam européen.

Pour une « culture islamique européenne »

            Le concept de « culture islamique européenne » marque, selon les mots de Tarek Ramadan, « le passage de la simple intégration dans une société où l’on a trouvé sa place au stade de la contribution à son enrichissement ». Cette idée est fondamentale et elle engage l’avenir de tous.

            C’est pourquoi il revient aux musulmans de France, ou plus exactement aux « citoyens français de confession musulmane », et même sans attendre leur intégration dans la société française, de participer à la construction d’un Islam européen.

            Leur intégration viendra d’elle-même.

            Il leur faut donc de ne pas attendre :

Pour renouer avec ce génie de l’invention qui caractérise le monde arabo-musulman et lui donner les moyens de s’exprimer.

            Pour témoigner par leur présence dans les arts et la culture, en France, de l’immense richesse de la civilisation musulmane.

            Pour retrouver la vocation philosophique et scientifique de la pensée arabe, par l’étude non seulement du saint Coran, mais aussi des philosophes, des penseurs, des savants de l’Islam.

 

            En philosophie, par exemple, il y a une place à prendre.

            On sait que la philosophie arabe ne s’est pas arrêtée avec la mort d’Averroès. Elle a pu s’enrichir de la pensée occidentale, pendant la deuxième moitié du 20ème siècle, à l’époque de la philosophie marxiste, mais elle ne l’a pas enrichie. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il vaut mieux prendre l’exemple du philosophe pakistanais Mohammed Iqbal, mort en 1948. Mais la pensée de Mohammed Iqbal n’a pas enrichi la philosophie occidentale, parce que l’Occident ne s’y est pas intéressé. Pourtant, sa critique de Nietzsche, par exemple, est d’une remarquable intelligence.

Il s’agit de construire, dans le contexte de l’Islam européen, une philosophie qui puisse enrichir à son tour la philosophie occidentale.

 

Dans tous les domaines de la Science, évidemment, il y a aussi une place à prendre.

Dans les arts également, il y a une place à prendre, mais pas la place que l’on prétend laisser aux musulmans, sous prétexte d’intégration. Ce n’est ni de rap ni de tags qu’il s’agit ici. Mais c’est un art inspiré des règles de l’art islamique et puisant dans ses richesses. Alors l’Europe pourra s’enrichir de ses réalisations.

            On pense tout naturellement à la calligraphie.

            A la musique, également. On a présent à l’esprit le succès du Raï, dans les années 80, mais on rencontre aujourd’hui des tentatives plus riches encore, telles les œuvres du jeune musicien tunisien Dhafer Youssef qui sont un remarquable exemple d’interpénétration culturelle. Mais cela peut être vrai aussi en architecture.

 

            Quant à la langue arabe, il est évidemment indispensable, pour les musulmans qui vivent en Europe, de la maîtriser. Alors on verra les langues européennes s’enrichir de cette langue, qui est non seulement une langue sacrée, mais une langue de culture. Mais, ce dont l’Europe a besoin, ce ne sont plus des termes argotiques, issus de la colonisation, ni des expressions de la « deuxième génération », mais de l’apport de la langue arabe dans tous les domaines de la science et de la culture.

             

 

*

 

La construction d'un l’Islam européen, son existence même, active, pacifique, brillante, demandent de la part des jeunes musulmans un travail considérable, mais à la hauteur d’une civilisation à laquelle ils appartiennent, à laquelle ils n’ont pas à renoncer, mais qu’ils ont à élever toujours plus, dans tous les domaines de la science et de l’art où l’histoire montre que leurs pères ont excellé : dans ce contexte nouveau désormais de l’Islam européen, pour l’enrichissement mutuel de l’ensemble des citoyens qui vivent en Europe, quelle que soit leur confession religieuse.