L'Institut Français d'Afrique Noire

(1938-1965)

Mots et noms typiques

Amadou Hampâté Bâ
Déserts
Nomades
Animaux

 

 

Retour à Théodore Monod

Profondeurs marines  

Durant toutes ces années passées à la tête de l’I.F.A.N., Théodore Monod a accompli de nombreuses missions dont la plus étonnante reste sans doute d’avoir participé à la première plongée du bathyscaphe du professeur Auguste Piccard, le FNRS-2. Théodore Monod en a tiré un livre plein de drôlerie : Bathyfolages.  « En 1948, le bathyscaphe, parti d’Anvers, arrivait à Dakar dans les flancs d’un cargo belge, le Scaldis. On n’avait oublié qu’une chose : le tremper dans l’eau avant de procéder sur la côte d’Afrique à ses premiers essais de plongée ».  Il est exact que la première expédition ne remplit pas tous les espoirs : « plongées… 1 (une) / à (profondeurs en mètres)… 25 (vingt-cinq) / Poissons abyssaux vus… 0 (zéro) / Poissons abyssaux capturés… (idem) »

Mais Théodore tiendra sa revanche quelques années plus tard, en 1954. Cette fois la plongée atteindra 1400 mètres et sera l’occasion d’une vraie observation des fonds abyssaux.

 

         Lorsque Théodore Monod arrive à Dakar, le 14 juillet 1938, l’Institut Français d’Afrique Noire n’existe que sur le papier : « Il n’y avait pas de personnel, pas de budget, rien ». Il obtient cependant la collaboration d’un chercheur béninois, Alexandre Adanbé, et organise le travail. Sa famille le rejoint et puis il est mobilisé pendant un an, dans le Tibesti, plus exactement à Aozou, « le tout dernier poste au nord de l’Afrique Équatoriale Française, sur la frontière de Libye. » Comme on pouvait s’y attendre cette affectation fut surtout l’occasion pour Théodore Monod d ‘expéditions dans le désert : relevés de pistes, de points d’eau, découverte d’un important gisement d’amazonite, ascension d’un sommet du Tibesti, l’Emi Koussi, à 3415 mètres. Comme il souhaite explorer un volcan qui se trouve en territoire italien, il en demande l’autorisation « à l’ennemi ». Son message télégraphique est intercepté et les autorités militaires françaises l’expulsent… Retour à Dakar, donc, mais la route est longue du Tibesti à l’Atlantique et il en profite pour explorer un nouveau volcan, le Toussidé (3315 m) – cf. Flore et végétation du Tibesti.

           De retour à Dakar, tout est à recommencer, et Théodore Monod réactive ce qu’il a nommé ses « Centrifran » qui sont des antennes de l’IFAN dans les pays qui composent l’A.O.F. (Côte d’Ivoire, Guinée, Sénégal, etc.). Mais la reprise en main de l’IFAN s’effectue aussi dans le contexte de la France vaincue. Si Théodore Monod parvient progressivement à faire revivre l’IFAN, il s’engage aussi dans un combat plus personnel. « Nul n’ignorait que, personnellement, je n’étais pas particulièrement partisan du régime de l’État français de Vichy ». C’est le moins qu’on puisse dire et Théodore Monod n’hésite pas à refuser de prêter serment au maréchal Pétain à qui il écrit : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que pour des motifs de conscience, je puis même dire des motifs d’ordre religieux et pourtant hautement sacrées, il ne m’est pas possible de prononcer en toute liberté d’esprit ce serment de fidélité au chef de l’Etat, démarche trop grave pour être accomplie sans en mesurer toute la portée, sans en peser la signification ». Mais surtout, tous les lundis, d’octobre 40 à octobre 41, il anime une émission pour Radio-Dakar. Ces chroniques hebdomadaires qui seront réunies plus tard en un volume, en partie censuré, en 1943, ne manquent pas d’audace et de liberté de parole, lorsque sont abordés des thèmes d’actualité comme celui de la race : « Le mot « race » exprime un fait matériel, zoologique, et ne saurait être détourné de son seul sens véritable », « Quant au problème aryen, il ne concerne que l’histoire des langues aryennes, et n’existe pas pour l’anthropologiste… » Les émissions s’arrêtent en 1941 : « On m’a permis de dire ce que je voulais, jusqu’au jour où l’on m’a demandé quand même de changer quelques petites choses. »

Rapidement Théodore Monod devient le président de la France combattante au Sénégal, fonde, en 1943, les Forces Fraternitaires Françaises, « mouvement de résistance locale », diffuse clandestinement le célèbre Silence de la mer de Vercors, signe de nombreux articles dans la presse de la France combattante (par exemple Notre Combat) et reçoit finalement le Général de Gaulle à sa première visite en Afrique de l’Ouest en janvier 1944 : « Au nom de la fédération d’AOF de la France combattante, j’ai l’honneur de vous souhaiter la bien venue… » Mais l’année 1943 sera particulièrement douloureuse pour lui, son père mourant à Paris cette année-là et toute la famille de sa femme étant déportée. Il n’y aura aucun survivant, sauf une sœur d’Olga qui s’était réfugiée en Palestine en 1938.

 L’IFAN compte trois départements : Sciences naturelles, Sciences de l’homme et Géographie. C’est à ce département que reviendra la réalisation d’un Atlas international de l’Afrique de l’Ouest - « qui traitait aussi bien de la végétation que de la faune ou des populations, etc. ». Mais l’IFAN, ce sont aussi des centaines de publications scientifiques, un Bulletin, la création de deux musées à Gorée (Sénégal), le Musée de la Mer et le musée des Esclaves, ce sont enfin des dizaines de conférences réunissant tous les deux ou trois ans l’ensemble des chercheurs de l’Afrique occidentale.

 L’indépendance des États africains, à partir de 1960 ne remettra pas en cause l’IFAN, à ceci près qu’il devra changer de nom et de statut. L’IFAN sera finalement intégré à l’Université de Dakar et portera désormais le nom d’Institut Fondamental d’Afrique Noire. Il est à noter que Théodore Monod avait pensé un instant à l’adjectif « farfelu » pour remplacer le « français » d’origine.

            En 1963, Théodore Monod est élu à l’Académie des Sciences. Cette nomination le pousse à demander un successeur à la tête de l’IFAN. Ce sera Vincent Monteil qui était directeur du Département Islam depuis 1959. Vincent Monteil, disciple de Louis Massignon, et dernier survivant de cette époque, a raconté ses années à Dakar dans un ouvrage malheureusement épuisé, Soldat de fortune. Théodore Monod quittera donc Dakar et d’une certaine manière l’Afrique en 1965, non sans quelque nostalgie, mais avec aussi une conviction qu’il gardera jusqu’à la fin de sa vie : « L’Occident c’est l’individualisme. L’Afrique c’est le groupe. Ces deux systèmes ne sont pas compatibles. L’un est hélas en train de détruire l’autre ».