Les Alakalufs en 1953

Annette Laming-Emperaire

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Annette Laming, Tout au bout du monde, Amiot-Dumont, 1954

 

 

 

"Pour les adultes, la plus grande partie du temps se passe dans la hutte, accroupis au coin du feu. Il pleut trois cents jours par an dans les archipels et le vent souffle presque sans arrêt. Dans la hutte il fait chaud de la chaleur du feu, de celle du chien et des hommes. L'odeur qui se dégage de cette vie serrée, mouillée et sale, ne gêne personne. Les Alakalufs au contact des Blancs ont gagné quelques vêtements usés, mais aucune notion d'hygiène. (...) Le temps s'écoule lentement, donnant une merveilleuse impression d'éternité. Les cholgas grésillent sur les braises. Une lente conversation s'échange par-dessus le feu, coupée de silences infiniment prolongés. Quelquefois les hommes taillent des harpons dans des morceaux d'os de baleine, les femmes tressent de petits paniers. Les uns et les autres se contentent d'un travail hâtif, car on n'utilisera guère plus ces objets. On se contentera d'aller les porter aux navires de passage et de chercher à les échanger contre quelques vieilles nippes de plus, ou du tabac. L'alcool serait plus apprécié encore, mais il est strictement interdit d'en donner aux Indiens, et le règlement est généralement respecté."

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"Au moment où nous débarquons il y a deux huttes. Ce sont des carcasses en forme de coupole, de trois mètres de diamètre environ, faites de longs piquets dont une extrémité est enfoncée en terre et l'autre recourbée en demi-cercle et attachée à l'extrémité du piquet symétrique. Les attaches sont faites avec des bouts de chiffon, des bouts de ficelle, des joncs, n'importe quoi de ce qui peut se nouer. Autrefois elles étaient faites de lianes ou de lanières de phoque. Sur ces carcasses sont amoncelés des peaux de phoques, des branchages feuillus, des vieux sacs, des bouts de bâches et de toile à demi pourris. Des rames sont appuyées sur le côté. Les deux huttes se touchent presque. Un peu de fumée monte de ces dômes.

Les huttes sont installées sur un talus étroit et bas qui longe la grève. La mer est à quelques mètres. Tout à côté, des canots ont été tirés à sec. Ce sont des embarcations allongées et étroites, taillées à la hache dans un tronc d'arbre. Autrefois, avant l'installation des Blancs dans l'archipel, elles étaient creusées à l'aide de pierres taillées et de coquilles de moules. La pierre et la coquille ont été abandonnées pour le fer, et on ne les emploie plus que tout à fait occasionnellement, car chaque Indien possède sa hache et son couteau. Le canote d'aujourd'hui est à peu près identique à celui d'autrefois, mais les planches qui rehaussent ses bords sont clouées au lieu d'être cousues, et il n'est plus calfaté seulement avec de l'écorce écrasée, mais aussi avec toutes sortes de vieux débris de chiffons. Trois de ces canots gisent sur la plage, tout en désordre d'algues mouillées et de grappes de cholgas.

C'est notre première visite aux huttes. Nous approchons. Rien ne bouge. (...)

Ces quelques Indiens qui achèvent misérablement leur vie en tant que groupe humain autonome, agglutinés autour du poste militaire de Puerto Eden, sont les restes de tribus autrefois nombreuses qui menaient une vie nomade de chasse et de   pêche sur toute l'étendue des archipels. Ils représentent une des civilisations les plus attardées de l'humanité."