ARMEL GUERNE ET NOVALIS

En hommage à Armel Guerne, poète et visionnaire, à qui l'œuvre de Novalis traduite en français par ses soins doit ce surcroît de beauté qui nous enchante.

NOVALIS : « Nom merveilleux qui devient à lui seul, déjà, rien qu’à l’entendre, comme le signe clair et presque, dirons nous, la clef du grand mystère de cette âme latine dans son corps allemand et son verbe germain. »

 

 

SOMMAIRE

Thomas Bernhard - Gustave Roud : traduction des Hymnes à la Nuit - "Bettina et Novalis" par Georgette Camille - "Novalis? Le chantre de la lumière cachée", par Charles Le Brun - Corinne Bayle : Rouges Roses de l'oubli, par Corinne Bayle - voir aussi Corinne Bayle, Note, juin 2004

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Retour à Novalis - Voir aussi A propos de Novalis - Armel Guerne : Note du traducteur - Autour de l'édition complète des oeuvres de Novalis

Manuscrit de la traduction du premier des Chants spirituels de Novalis par Armel Guerne

> Une lettre à Cioran, 5 avril 1970

      "L'écolier qui noircissait ses cahiers en se bourrant de lectures s'appelait Friedrich von Hardenberg, fils d'un père sinistre, bigot protestant, frère d'une kyrielle de frères et soeurs. Novalis est quelqu'un d'autre, et qui mourut dans un sourire"

      "Novalis, où je me baigne comme dans une jouvence, oui, je puis vous expliquer pourquoi je ne l'ai pas pris en grippe : les autres, je les ai usés parce qu'ils avaient un terme assez court, qui ne résiste pas à une pénétration consciencieuse. Avec lui, c'est tout le contraire : vraies ou fausses, belles ou laides, ineptes ou séduisantes, ses phrases et peu importe comment débouchent sur l'infini - un infini un peu vague parfois, mais vivant, palpitant, rempli de confidences".

Deux inédits

Novalis. - Même dans l'épaisseur de l'étoffe allemande (je veux dire la lourdeur de la langue et des mœurs) la transparence de sa pensée réussit à passer, furtive comme le génie-même et ductile comme le platine de sa volonté : d'une efficacité extraordinaire et d'autant plus enchanteresse qu'elle est insaisissable. Visiblement inapparente et cependant d'une puissance souveraine. La transparence d'une pensée qui révèle ce qui est là presque sans le montrer et presque sans le dire, sans s'interposer en tout cas; ne confiant cependant ses secrets qu'à ceux qui savent les entendre et ne découvrant ses trésors qu'à ceux qui, sachant déjà qu'ils existent, seront ainsi à la fois dignes et capables de les voir.

Peu d'hommes auront tracé une ligne aussi haute ; il ne parle qu'à ceux qui entendent et ne montre qu'à ceux qui voient. Tous les autres s'ennuient, mais ceux-là sont comblés de richesses inépuisables, certifiés à tout jamais dans l'espérance. Quoi de plus précieux? Car pour celui qui a le paysage devant soi comme celui en qui ruisselle le chant rafraîchissant, qu'importent les négations du peuple de la fin des temps, ce dont il a été dit qu'ils ont des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre. On n'a rien à leur démontrer, et leurs pitoyables protestations se retournent contre eux-mêmes, seuls coupables.

Où qu'il tourne les yeux, l'homme ne rencontre partout que des limites, sauf vers le haut. C'est sans doute pourquoi les générations microscopiques d'une ère déconfite et affaissée qui ne survit que dans son seul microcosme, s'interdisent, sous peine de vertige, tout regard qui n'est pas borné, ne cherchant rien au-dessus d'elles de peur de le trouver. Le seule vision, pourtant, la seule vision vivante et nourricière est bien celle qui réussit à enjamber nos apparences pour entrevoir la réalité. Quand on revient de là, on sait que ce monde-ci est mort, ayant empoisonné son verbe et détruit sa nature."

LES HYMNES A LA NUIT. - Certainement l'œuvre capitale de Novalis et la seule achevée (si l'on excepte l'essai sur la Chrétienté et la courte suite intitulée Foi et Amour) - ces singuliers chants de louange sont au nombre de six - les 5 premiers imprimés en prose, et le 6ème sur 10 strophes, dans l'Atheanum, tome III, 2° cahier, paru en 1800. Ils forment une opulente symphonie directement greffée sur le tronc vigoureux de l'expérience intérieure et de la radicale et douloureuse conversion du poète demandant à la nuit et à la mort ce que les autres attendent étroitement du jour et de la vie. Ce ne sont que seize pages dans l'imprimé original, mais leur place est unique dans l'histoire des littératures. Unique et essentielle. Car il y a peu d'œuvres, finalement, dans le foisonnement d'ouvrages originaux et attachants du Romantisme allemand, dont la respiration universelle conservera toujours en vie ce qui fut bien un mouvement profond de l'Homme, l'empêchant de passer comme passent nécessairement toutes les écoles littéraires ou esthétiques. Avec les Hymnes à la Nuit, le génie de douceur et de grâce, de douleur, d'audace et de ferme volonté de Novalis est entré dans la poésie comme saint Jean de la Croix, par la contemplation de la Nuit Obscure, s'est élevé à la connaissance surnaturelle. L'hymne III, plus étroitement lié aux manifestations sensibles de ce renversement intérieur, au centre du poème, en est plutôt le cœur infiniment interrogeable que la clef systématique, comme ont pu le prétendre certains commentateurs.

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Oeuvres de Novalis traduites par Armel Guerne

Les Disciples à Saïs. Frontispice d'André Masson.  Paris, G.L.M., 1939.

Europe ou la Chrétienté. N' spécial des Cahiers du Sud sur le Romantisme allemand, Paris et Marseille, 1949.

Hymnes à la nuit. Paris, Éditions Falaize, 1950.

Fragments. Choisis et traduits par Armel Guerne (édition bilingue), précédés d'un essai par Charles Du Bos. Paris, Aubier-Montaigne, 1973.

Oeuvres complètes. (2 vol. : I. Romans.  Poésies.  Essais.  Il.  Les fragments.) Édition établie, traduite et présentée par Armel Guerne. Paris, Gallimard, 1975.

Les Disciples à Saïs. Hymnes à la Nuit. Chants religieux. Avec quelques poèmes extraits d'Henri d’Ofterdingen. Traduction et présentation d’Armel Guerne. Gallimard, coll. Poésie/Gallimard, 1975.