LA VOIE ÉSOTÉRIQUE

Essai de géosophie

SOMMAIRE

Thèmes typiques

L'initiation - La discipline de l'Arcane et le Secret - Théories cycliques - Le Maître - Le Centre spirituel - Le Monde supra humain -

 

 

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La voie ésotérique

Essai de géosophie (II)

 Exemples tirés de l'ésotérisme des traditions abrahamiques

Essai de géosophie (III)

 

          La notion même d’ésotérisme n’est pas un terrain « neutre », elle ne peut être appréhendée, sans qu’on se soit interrogé un jour : « Y a-t-il pour moi un chemin vers la Vie ? » - et même sans qu’on se soit mis en marche soi-même, en direction de l’horizon oriental de notre monde terrestre.

           L’ésotérisme, c’est « le chemin mystérieux qui va vers l’intérieur », selon les mots du poète romantique allemand Novalis.

            Ce chemin est délivrance et non seulement salut.

            Il est réservé à un petit nombre, à ceux qui ont répondu à l’appel à se mettre en marche, qui ont persévéré tout au long de leur pérégrination jusqu’au seuil de l’âme et atteint le lieu de leur salut, qui ont franchi ce seuil pour progresser ensuite à travers la Terre Céleste jusqu’à ses limites orientales, au-delà desquelles « il n’y a plus de chemin, car pour le juste il n’y a plus de loi. » Ce petit nombre connaît alors sa délivrance.

             Telle est la voie ésotérique.

            Pour ces pèlerins de l’esprit, l’itinéraire commence avec la rencontre d’un étranger venu leur transmettre l’Appel à quitter le monde occidental et à se diriger vers l’Orient. D’ores et déjà il faut reconnaître que l’Orient dont il s’agit est l’Orient métaphysique, de même que le monde occidental dont il est question ici n’est pas celui de la géographie physique. Ayant répondu à l’Appel, les pèlerins avancent sur la voie, mais l’étranger les guide vers celui dont ils recevront leur initiation. Il est impossible en effet de progresser sur la voie ésotérique sans une initiation. Telle est la condition à laquelle ils pourront poursuivre leur route sans s’égarer, car « il ne s’agit pas du tout de « s’envoler » et d’arriver quelque part dans le Ciel. »

            Celui qui leur confère l’initiation devient alors leur maître, un maître qu’ils suivront tout au long d’un chemin dur et abrupt qui mène à l’Orient, autrement dit à l’horizon oriental de notre monde terrestre. Ce chemin est une ascension et c’est dans les Ténèbres qu’ils progressent. Seule la foi dans ce maître qui les précède et ne cesse de s’avancer au-devant d’eux leur permettra d’atteindre cette première étape. Certains se détournent du chemin avant d’en atteindre le terme, d’autres continuent à travers les vicissitudes. Saint Jean de la Croix parlera de la Nuit obscure de l’Ascension du Mont Carmel.

            Lorsque le petit nombre est parvenu au sommet de la montagne qui délimite notre monde terrestre, ils abordent une contrée inconnue, qui est une Terre céleste, ou encore le Monde de l’Âme, et c’est alors un Ange qui se présente à eux, au seuil de cette nouvelle terre, un Ange qui est à la ressemblance de leur âme, qui est leur propre âme.

            « Christus und Sophie », dit Novalis.

            Cet Ange devient leur compagnon oriental au cours de leur pérégrination dans la Terre céleste.

            Cette Terre céleste présente, comme le monde terrestre, un Occident et un Orient. Autrement dit, l’Orient de notre monde terrestre est l’Occident de la Terre céleste. Mais il ne suffit pas d’y entrer comme l’Ange y invite, on ne pénètre vraiment dans cette Terre céleste qu’en l’ayant parcourue toute entière depuis son Occident jusqu’à son Orient. C’est ainsi que l’ascension continue sous la conduite de l’Ange oriental, vers les états supérieurs de l’Être, en direction de la « Terre promise de l’union divine ».

            Toutefois, quelles que soient les formes de l’expérience intérieure de chacun des pèlerins de l’esprit, il s’agit bien, à chaque fois, d’approcher l’Absolu, de tendre à cet ultime Orient, l’Orient de l’âme, au-delà duquel « il n’y a plus de chemin », parce qu’il confine à l’Océan divin, comme le suggère Sainte Gertrude à propos du disciple bien-aimé et du Cœur de Jésus dans une célèbre vision  : « Elle vit (…) l’immense océan de la divinité refermé dans le sein de Jésus, et dans cet océan le bienheureux Jean (…) nager comme un petit poisson avec une ineffable jouissance et en toute liberté. Et elle comprit qu’il faisait plus habituellement sa demeure en ce Cœur où le flot de la divinité se déverse avec plus de puissance dans l’humanité », ou encore Ibn ‘Arabî dans une prière non moins fameuse : « Fais-moi entrer, ô Seigneur, dans les profondeurs de l’Océan de ton unité infinie ».

 L’initiation

            On peut affirmer un premier principe : pas d’ésotérisme, sans initiation. Qu’est-ce que l’initiation ?

            « Le but réel de l’initiation, écrit René Guénon, dans L'ésotérisme de Dante, ce n’est pas seulement la restauration de « l’état édénique » qui n’est qu’une étape sur la route qui doit mener bien plus haut, puisque c’est au-delà de cette étape que commence le « voyage céleste » ; ce but c’est la conquête active des états « supra-humains ».

            C’est ainsi l’initiation qui marque le commencement de la quête, pour ceux qui ont répondu à l’appel, autrement dit, qui ont « une certaine aptitude ou disposition naturelle » à la recevoir.

            C’est elle aussi qui assure la transmission d’une influence spirituelle, faute de laquelle il leur est impossible de progresser sur « le chemin mystérieux qui va vers l’intérieur ».

            C’est elle, enfin, qui leur permet, par le « travail intérieur » qu’elle favorise, de parvenir au terme de l’ascension, ou en d’autres termes d’accomplir la totalité du chemin, d’un Orient l’autre.

Le maître

            Un second principe est celui-ci : pas d’ésotérisme sans un maître.

            Ce maître est le guide du pèlerin de l’Orient, maître visible ou invisible, vivant ou non, qui le conduira jusqu’au terme de sa première étape, à la Source de la Vie. C’est pourquoi ce maître peut être celui que les musulmans nomment al Khadir, le Verdoyant, et qui est Saint Élie pour les chrétiens.

            Il est donc celui qui confère l’initiation, qui transmet l’influence spirituelle à laquelle le pèlerin aura recours tout au long de son cheminement vers l’intérieur. Ce peut donc être un maître personnel dont le pèlerin deviendra le disciple, comme dans le soufisme. Ce peut être aussi, dans un contexte chrétien, l’Église elle-même, ou un ordre monastique. Dans certains cas rares, ce peut être le Verdoyant lui-même, celui que les musulmans appellent al-Khadir et que les chrétiens nomment Saint Elie.

           Ce peut même être une certaine disposition intérieure comme le dira Marie-Madelaine Davy : « A l’égard de mon itinéraire, je me pose la question : quel fut mon initiateur, mon véritable maître spirituel ? / Je réponds sans la moindre hésitation : la solitude. / Elle est un abîme ! Une profondeur ! Une béance ! / Dès ma jeunesse, j’ai perçu son appel. Et j’ai été séduite. Depuis, je n’ai jamais regretté l’union de nos amours. »

Le Maître intérieur

             Le Maître intérieur, lui, « oriente » le pèlerin de l’esprit vers l’Orient majeur.

             Il se manifeste dans l’intime du cœur, au « centre » du « château de l’âme », comme dit Sainte Thérèse d’Avila, « où se passent les choses les plus secrètes en l’âme et Dieu ». Tantôt il y demeure caché, car « la sagesse mystique a caché l’âme en Elle », tantôt il se découvre dans une vision « théophanique » et parfois même sous les apparences d’un être vivant.

             L’exemple le plus remarquable d’une telle vision nous est fourni par le prophète de l’Islam lui-même, telle qu’elle est décrite dans ce qu’on appelle justement le hadith de la vision : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté, comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la grâce ; il était revêtu d’une robe d’or ; sur sa chevelure, une mitre en or ; à ses pieds, des sandales d’or ».        

            Ceci pour la vision. Quant à la connaissance de ce Maître intérieur, elle est réservée aux stades ultimes de la voie ésotérique, car ce Maître est le Seigneur, et Le connaître, c’est connaître son Soi.

©2002, Jean Moncelon