"L’aimée devient principe divin, mais elle n’est pas
la Divinité même. C’est là une différence de taille
avec la mystique. Chez Novalis, et dans
Ofterdingen en particulier, le rôle des
intermédiaires est fondamental. Ils participent des
deux mondes, les relient, révèlent ici-bas la
présence du monde supérieur. Au nombre de ces
médiateurs, il faut placer Mathilde, l’aimée, mais
aussi les poètes. Car les moments sont rares où
l’esprit brille encore dans la matière. Dans ces
moments-là, comme lors de la promenade au clair de
lune qui mène Henri vers la grotte dans le cinquième
chapitre, c’est l’intuition ou le pressentiment qui
a la révélation d’une harmonie primitive où, comme
le postulent les alchimistes, esprit et matière
étaient encore confondus.
Dans une tradition mystique mâtinée d’alchimisme [sic],
Novalis lit Jakob Böhme,
avec une influence directe sur la conception d’Henri
d’Ofterdingen. Il rend compte de ses lectures
dans ses lettres de 1799, et l’on perçoit
l’importance particulière de la pensée de Böhme dans
un extrait du poème que Novalis a dédié à Tieck :
Le temps est venu, le mystère
En a fini de se cacher.
Le matin envahit, dans ce livre,
Le temps de toute sa puissance.
Annonciateur de l’Aurore,
La paix en toi a son héraut.
Et je t’emplirai de mon souffle
Doux comme l’air dans la harpe.
Toi, tu proclameras le règne
qui durera pendant mille ans ;
Tu trouveras l’être infini
et reverras Jakob Böhme.
Modeste cordonnier de Lusace, Jakob Böhme
(1575-1624) est déclaré « hérétique » par les
pasteurs de Görlitz à la suite de la publication d’Aurora,
rédigée en 1612. Plus que par des concepts, la
pensée de Böhme se dit par une foule d’images. Son
importance est capitale pour Novalis et se retrouve
à plusieurs moments de l’œuvre. Il en tire l’idée
que loin d’être une aliénation, l’extase renforce au
moment de la vision l’acuité de la conscience
normale. Il voit en l’imagination une perception
supérieure permettant de reproduire des phénomènes
surnaturels qui ne peuvent être perçus que par les «
yeux de l’esprit », comme il est dit dans Aurora.
Au moins autant qu’à celle qui aurait pu devenir
sa femme, Novalis doit l’inspiration du personnage
de Sophie, dans le conte de Klingsohr [sic],
à la Vierge Sophia, Sophia céleste d’Aurora.
Dans le registre thématique, Novalis reprend à Böhme
la métaphore de la profondeur. Chez Böhme, elle se
substitue généralement à celle de la hauteur
(profondeur entre la terre et les étoiles, soleil,
roi de la profondeur). Alliée à l’image des grottes,
de la descente dans les entrailles de la terre,
Novalis en fera l’un des motifs récurrents de son
œuvre. C’est également chez Böhme qu'il trouve
l’image du pré en fleurs qui symbolise le monde
paradisiaque, mais aussi la flamme purificatrice et
l’or qui se fige en miroir.
Les dialogues philosophiques de la seconde partie
reprennent essentiellement les thèses d’Hemsterhuis
d’une part et de Fichte d’autre part. Au centre de
ces thèses, il y a le problème de la conscience, de
la façon dont elle se perçoit en même temps que le
monde, mais aussi de la morale qui advient en même
temps que la pleine conscience de soi.
Chez Hemsterhuis,
philosophe hollandais du XVIIIe siècle, auteur de
dialogues rédigés en français, Novalis cherche la
confirmation de son hypothèse sur la valeur de
l’amour comme finalité de l’Histoire du monde. Et il
trouvera chez lui l’idée que celle-ci ne se réalise
que dans la mort. Après la mort de Sophie von Kühn,
il voudra croire à la toute-puissance de la volonté,
pour la rappeler à lui ou pour la rejoindre. Dans
Ofterdingen, la mort de l’aimée et le
sacrifice de la mère s’inspirent directement de ces
théories. Mais Hemsterhuis associe également l’idée
de l’amour à celle du retour de l’âge d'or, thème
central d’Ofterdingen. L’âge d’or ne pourra
revenir sur terre que si la morale y règne, et
Hemsterhuis, dans une théorie volontariste,
considère que l’homme a la faculté, s’il le veut, de
produire en lui de nouveaux organes, dont un organe
moral. Comme l’univers physique est connu par les
organes de la perception, l’univers moral peut être
connu par l'organe moral. On reconnaîtra ces pensées
dans le dialogue de Sylvestre et du pèlerin." |