Laurent FEREC

Présentation de Henri d'Ofterdingen

Retour à Novalis - A propos de Novalis - L'œuvre de Novalis

 

 

 

 

Henri d'Ofterdingen, traduit par Laurent Ferec, Imprimerie Nationale, 1996

 

 

 

 

"L’aimée devient principe divin, mais elle n’est pas la Divinité même. C’est là une différence de taille avec la mystique. Chez Novalis, et dans Ofterdingen en particulier, le rôle des intermédiaires est fondamental. Ils participent des deux mondes, les relient, révèlent ici-bas la présence du monde supérieur. Au nombre de ces médiateurs, il faut placer Mathilde, l’aimée, mais aussi les poètes. Car les moments sont rares où l’esprit brille encore dans la matière. Dans ces moments-là, comme lors de la promenade au clair de lune qui mène Henri vers la grotte dans le cinquième chapitre, c’est l’intuition ou le pressentiment qui a la révélation d’une harmonie primitive où, comme le postulent les alchimistes, esprit et matière étaient encore confondus.

Dans une tradition mystique mâtinée d’alchimisme [sic], Novalis lit Jakob Böhme, avec une influence directe sur la conception d’Henri d’Ofterdingen. Il rend compte de ses lectures dans ses lettres de 1799, et l’on perçoit l’importance particulière de la pensée de Böhme dans un extrait du poème que Novalis a dédié à Tieck :

Le temps est venu, le mystère

En a fini de se cacher.

Le matin envahit, dans ce livre,

Le temps de toute sa puissance.

 

Annonciateur de l’Aurore,

La paix en toi a son héraut.

Et je t’emplirai de mon souffle

Doux comme l’air dans la harpe.

 

Toi, tu proclameras le règne

qui durera pendant mille ans ;

Tu trouveras l’être infini

et reverras Jakob Böhme.

 

Modeste cordonnier de Lusace, Jakob Böhme (1575-1624) est déclaré « hérétique » par les pasteurs de Görlitz à la suite de la publication d’Aurora, rédigée en 1612. Plus que par des concepts, la pensée de Böhme se dit par une foule d’images. Son importance est capitale pour Novalis et se retrouve à plusieurs moments de l’œuvre. Il en tire l’idée que loin d’être une aliénation, l’extase renforce au moment de la vision l’acuité de la conscience normale. Il voit en l’imagination une perception supérieure permettant de reproduire des phénomènes surnaturels qui ne peuvent être perçus que par les « yeux de l’esprit », comme il est dit dans Aurora. Au moins autant qu’à celle qui aurait pu devenir sa femme, Novalis doit l’inspiration du personnage de Sophie, dans le conte de Klingsohr [sic], à la Vierge Sophia, Sophia céleste d’Aurora. Dans le registre thématique, Novalis reprend à Böhme la métaphore de la profondeur. Chez Böhme, elle se substitue généralement à celle de la hauteur (profondeur entre la terre et les étoiles, soleil, roi de la profondeur). Alliée à l’image des grottes, de la descente dans les entrailles de la terre, Novalis en fera l’un des motifs récurrents de son œuvre. C’est également chez Böhme qu'il trouve l’image du pré en fleurs qui symbolise le monde paradisiaque, mais aussi la flamme purificatrice et l’or qui se fige en miroir.

Les dialogues philosophiques de la seconde partie reprennent essentiellement les thèses d’Hemsterhuis d’une part et de Fichte d’autre part. Au centre de ces thèses, il y a le problème de la conscience, de la façon dont elle se perçoit en même temps que le monde, mais aussi de la morale qui advient en même temps que la pleine conscience de soi.

Chez Hemsterhuis, philosophe hollandais du XVIIIe siècle, auteur de dialogues rédigés en français, Novalis cherche la confirmation de son hypothèse sur la valeur de l’amour comme finalité de l’Histoire du monde. Et il trouvera chez lui l’idée que celle-ci ne se réalise que dans la mort. Après la mort de Sophie von Kühn, il voudra croire à la toute-puissance de la volonté, pour la rappeler à lui ou pour la rejoindre. Dans Ofterdingen, la mort de l’aimée et le sacrifice de la mère s’inspirent directement de ces théories. Mais Hemsterhuis associe également l’idée de l’amour à celle du retour de l’âge d'or, thème central d’Ofterdingen. L’âge d’or ne pourra revenir sur terre que si la morale y règne, et Hemsterhuis, dans une théorie volontariste, considère que l’homme a la faculté, s’il le veut, de produire en lui de nouveaux organes, dont un organe moral. Comme l’univers physique est connu par les organes de la perception, l’univers moral peut être connu par l'organe moral. On reconnaîtra ces pensées dans le dialogue de Sylvestre et du pèlerin."