LA VOIE DE MAÎTRE
ECKHART
Il y a d’abord
l’accueil de Dieu en soi, ce qui implique que l’homme
soit vierge, c’est-à-dire « dégagé de toutes images
étrangères, aussi dégagé qu’il l’était alors qu’il
n’était pas. »
Il y a ensuite la
naissance du Fils dans l’âme, de l’enfant divin, le
puer aeternus, comme l’écrit Marie-Madeleine Davy,
dans le secret de l’âme : « Dans la source la plus
intérieure, je sourds dans le Saint-Esprit : c’est là
une vie, un être, une opération. Tout ce que Dieu opère
est un ; c’est pourquoi il m’engendre en tant que son
Fils, sans aucune différence »
Mais cette
naissance ne fait pas tout : « C’est dans le fond du
fond que le Verbe apparaît pour céder ensuite la place à
la Déité pure ». Elle doit s’accompagner par conséquent
d’une « percée de l’âme », en direction de la Déité :
« Les
maîtres disent que deux puissances fluent de la partie
supérieure de l’âme. L’une se nomme volonté, l’autre
intellect. La perfection de ces puissances se situe dans
la puissance supérieure qui se nomme intellect [il
s’agit ici du « fond de l’âme »]. Elle ne peut jamais
trouver le repos. Elle ne tend pas vers Dieu selon qu’il
est l’Esprit Saint, elle fuit le Fils selon qu’il est le
Fils. Elle ne veut pas non plus Dieu selon qu’il est
Dieu. Pourquoi ? Parce que là il a un nom. Et s’il y
avait mille dieux, elle ferait sans cesse sa percée,
elle le veut là où il n’a pas de nom. Elle veut quelque
chose de plus noble, quelque chose de meilleur que Dieu
selon qu’il a un nom » (Mulier, venit hora)
Pour
accomplir ces différentes étapes, il n’y a finalement
d’autres modes de réalisation spirituelle que le
détachement, le détachement de soi et de tout le créé, y
compris du désir du paradis terrestre, dans la dimension
du salut – ascension horizontale – y compris de
l’aspiration de l’âme au paradis céleste, lors de son
ascension verticale : « Ceux qui sont complètement
sortis d’eux-mêmes, qui ne cherchent absolument rien qui
leur soit propre en aucune chose, quelle qu’elle soit,
grande ou petite, qui ne considèrent rien au-dessous
d’eux, ni au-dessus d’eux, ni à côté d’eux, ni en eux,
qui ne visent ni bien, ni honneur, ni agrément, ni
récompense, ni royaume céleste, et qui sont sortis de
tout cela, de tout ce qui leur est propre : ces gens là
rendent honneur à Dieu, ils honorent Dieu véritablement
et lui donnent ce qui est à lui »
C’est ainsi que s’opère
le détachement, mode unique de réalisation, jusqu’à ce
que l’âme devienne « un avec l’Un, un de l’Un, un dans
l’Un et, dans l’Un, un éternellement ».
C’est qu’en effet, au
terme de la voie, l’homme approche alors la Déité : «
Quand l'âme reçoit un baiser de la Déité, elle acquiert
toute sa perfection et sa béatitude, alors elle est
embrassée par l'Unité » (In diebus suis placuit Deo).
Ce baiser,
naturellement, n’est ni celui du Fiancé, ni celui de l’Epoux
divin, du Fils, selon les théophanies formelles et
informelles, il est celui du Dieu sans nom, de l’UN, et
c’est en cela que l’homme atteint sa délivrance,
« toute sa perfection et sa béatitude ». On peut sous
cet aspect se reporter au Traité « De l’homme noble » :
«Je dis : quand l'homme, l'âme, l'esprit contemple Dieu,
il se sait et se reconnaît aussi comme connaissant,
c'est-à-dire : il reconnaît qu'il contemple et reconnaît
Dieu. Or il a semblé à certains et il paraît aussi très
vraisemblable que la fleur et le noyau de la béatitude
se situent dans la connaissance par laquelle l'esprit
connaît qu'il connaît Dieu, car si je possédais toutes
les délices sans en rien savoir, que m'importerait, et
quelles délices seraient-ce là pour moi? Pourtant je dis
avec assurance qu'il n'en est pas ainsi. S'il est vrai
que, sans cela, l'âme ne serait pas bienheureuse, la
béatitude ne se situe pourtant pas là, car le premier
élément de la béatitude, c'est que l'âme contemple Dieu
sans voile. C'est de là qu’elle reçoit tout son être et
sa vie et qu’elle puise tout ce qu'elle est dans l'abîme
de Dieu et ne sait rien de la connaissance ni de l'amour
ni de quoi que ce soit. Elle repose totalement et
exclusivement dans l'être de Dieu, elle ne connaît là
que I'Être et Dieu. Mais quand elle sait et reconnaît
qu’elle contemple, connaît et aime Dieu, c'est une
sortie de cet état et un retour à l'état premier selon
l'ordre naturel. »
Conclusion
L’œuvre de
Maître Eckhart introduit à une voie typique de
l’ésotérisme chrétien qui est une voie de l’Unité, qui
se déploie au-delà des théophanies formelles et
informelles.
Le maître,
c’est le Christ, engendré par le Père dans le secret de
l’âme, c’est, en d’autres termes, la Présence, dans le
secret de l’âme.
C’est elle,
cette Présence intérieure, qui est l’initiatrice,
« au-delà de toute sensation concernant l’amour ou la
connaissance » (Marie-Madeleine Davy)
Quant aux
modes de réalisation de la voie de Maître Eckhart,
c’est essentiellement le détachement. |