SUR LA VOIE
Tu verras le secret de la coupe du
Graal
en te poudrant les yeux du khôl de
la taverne.
Bois, fais de la musique : il faut
bien te distraire
et chasser de ton cœur ce qui lui
fait mal.
Veux-tu faire s'ouvrir la fleur de
ton désir?
Approche-la comme une brise
printanière.
Mendier devant l'auberge est
l'unique élixir
qui puisse transmuter en or de la
poussière.
Fais un pas vers l'étape de
l'Amour. Crois-moi,
tu auras grand profit à scruter
l'invisible.
Toi qui es prisonnier dans le monde
sensible,
comment peux-tu savoir où se
trouve la Voie?
La beauté de l'Ami sans voile est
l'Évidence,
mais tu dois te frotter les yeux
pour y voir clair.
Écoute! Si tu veux savourer la
Présence,
demande aux initiés leur grâce et
leur faveur.
Si tu es attaché à la coupe et
aux lèvres,
jamais rien d 'important ne se fait
dans la fièvre.
LA NUIT DU DESTIN
Hier soir, vers l'aube, on m'a
délivré du chagrin : dans la nuit noire, on m'a versé l'Eau de
Jouvence.
On m'a mis hors de moi, et la coupe
de vin m'a ébloui des attributs de Ton Essence.
Cette aube fut bénie et belle
cette nuit : Nuit du Destin : on m'a donné l'investiture.
Dorénavant, au miroir de la
Beauté pure, on m'initia à l'épiphanie aujourd'hui.
J'ai été exaucé. Je suis
comblé. Merci. J'étais dans le besoin, et l'on me fit l'aumône.
Le jour où une voix m'annonça
cette bonne nouvelle, c'est alors que je fus endurci.
Le miel de mes vers est le fruit de
ma patience pour mon amour, qui est comme du sucre en branche.
Hâfez, c'est grâce à toi, au
souffle des vigiles, que je suis détaché de ce bas monde - et libre.
L'ÉLIXIR DE L'AMOUR
Tu ne sais pas ce qu'est l'Amour. Il te faudrait être intrépide
Et connaître tout le parcours, si
tu veux devenir un guide.
A l'école de Vérité, auprès du
professeur d'Amour,
Tâche, ô mon fils, de mériter
d'être comme ton père, un jour.
Le cuivre vil de l'existence,
laisse-le tomber en chemin,
Et que te transmute en or pur
l'élixir de l'Amour divin.
Dormir, manger, voilà ce qui t'a
mis au-dessous de toi-même.
Cesse de manger, de dormir, et tu
redeviendras toi-même.
Que la lumière de l'Amour embrase
ton cœur et ton âme,
Et toi, tu deviendras meilleur que
le soleil dans le ciel bleu.
Plonge-toi donc, comme un éclair,
dans l'Océan même de Dieu,
Sans penser qu'à l'eau des Sept
mers tu puisses mouiller un cheveu.
Tu seras, de la tête aux pieds,
baigné de divine lumière :
Tourne-toi vers Sa Majesté, avec
un cœur humble et sincère.
Si tout ce que tu vois est la Face
de Dieu,
Tu seras l'un de ceux dont le
regard profond est pieux.
Si les fondements de ta vie
s'écroulent sens dessus dessous,
Ne t'inquiète pas par le fait que
tu es sens dessus dessous.
Hâfez, si tu as la passion d'une
Union mystique avec Dieu,
Tu ne seras que poussière au seuil
de ceux qui contemplent Dieu.
(Traduction Vincent-Mansour Monteil)
*
L'AMOUR MYSTIQUE
O toi qui ignores l'amour, efforce-toi de le
connaître ; tant que tu ne feras pas route, comment donc deviendras-tu
guide? A l'école de vérité, auprès du professeur d'Amour, fais donc
effort, ô mon enfant, pour devenir maître à ton tour. Suivant
l'exemple des mystiques, fais bon marché de l'existence qui ne vaut pas
plus que le cuivre ; ainsi tu trouveras l'Amour, cette pierre
philosophale ; en or tu seras transmué. La nourriture et le sommeil
t'ont mis en dessous de toi-même ; ce n'est qu'en les abandonnant que
tu redeviendras toi-même. Si le feu de l'amour divin tombe en ton
cœur et en ton âme, tu resplendiras - je le jure! - plus que soleil au
firmament. Plongé dans l'océan divin, un moment, ne pense donc pas à
mouiller même un seul cheveu dans les océans de ce monde. Tu seras, de
la tête aux pieds, baigné de lumière divine, si tu suis, renonçant
au monde, la voie qui mène à la grandeur. Et si l'objet de tes regards
est alors la face de Dieu, il ne resteras plus doute : tu seras le
parfait mystique. Si de ta vie matérielle les fondements sont
renversés, du moins tu n'auras dans le cœur plus rien qui puisse te
troubler. Mais si tu es pris du désir, ô Hafiz! de t'unir à Dieu, tu
devras te rendre poussière au seuil de tous ceux qui possèdent la
science des choses sublimes.
(Traduction Henri Massé)
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