TROIS POEMES DU DIVÂN

Retour à Hâfez - Commentaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUR LA VOIE

Tu verras le secret de la coupe du Graal

en te poudrant les yeux du khôl de la taverne.

Bois, fais de la musique : il faut bien te distraire

et chasser de ton cœur ce qui lui fait mal.

Veux-tu faire s'ouvrir la fleur de ton désir?

Approche-la comme une brise printanière.

Mendier devant l'auberge est l'unique élixir

qui puisse transmuter en or de la poussière.

Fais un pas vers l'étape de l'Amour. Crois-moi,

tu auras grand profit à scruter l'invisible. 

Toi qui es prisonnier dans le monde sensible,

comment peux-tu savoir où se trouve la Voie?

La beauté de l'Ami sans voile est l'Évidence,

mais tu dois te frotter les yeux pour y voir clair.

Écoute! Si tu veux savourer la Présence,

demande aux initiés leur grâce et leur faveur.

Si tu es attaché à la coupe et aux lèvres,

jamais rien d 'important ne se fait dans la fièvre.

 

LA NUIT DU DESTIN

Hier soir, vers l'aube, on m'a délivré du chagrin : dans la nuit noire, on m'a versé l'Eau de Jouvence.

On m'a mis hors de moi, et la coupe de vin m'a ébloui des attributs de Ton Essence.

Cette aube fut bénie et belle cette nuit : Nuit du Destin : on m'a donné l'investiture.

Dorénavant, au miroir de la Beauté pure, on m'initia à l'épiphanie aujourd'hui.

J'ai été exaucé. Je suis comblé. Merci. J'étais dans le besoin, et l'on me fit l'aumône.

Le jour où une voix m'annonça cette bonne nouvelle, c'est alors que je fus endurci.

Le miel de mes vers est le fruit de ma patience pour mon amour, qui est comme du sucre en branche.

Hâfez, c'est grâce à toi, au souffle des vigiles, que je suis détaché de ce bas monde - et libre.

 

L'ÉLIXIR DE L'AMOUR

Tu ne sais pas ce qu'est l'Amour. Il te faudrait être intrépide

Et connaître tout le parcours, si tu veux devenir un guide.

A l'école de Vérité, auprès du professeur d'Amour,

Tâche, ô mon fils, de mériter d'être comme ton père, un jour.

Le cuivre vil de l'existence, laisse-le tomber en chemin,

Et que te transmute en or pur l'élixir de l'Amour divin.

Dormir, manger, voilà ce qui t'a mis au-dessous de toi-même.

Cesse de manger, de dormir, et tu redeviendras toi-même.

Que la lumière de l'Amour embrase ton cœur et ton âme,

Et toi, tu deviendras meilleur que le soleil dans le ciel bleu.

Plonge-toi donc, comme un éclair, dans l'Océan même de Dieu,

Sans penser qu'à l'eau des Sept mers tu puisses mouiller un cheveu.

Tu seras, de la tête aux pieds, baigné de divine lumière :

Tourne-toi vers Sa Majesté, avec un cœur humble et sincère.

Si tout ce que tu vois est la Face de Dieu,

Tu seras l'un de ceux dont le regard profond est pieux.

Si les fondements de ta vie s'écroulent sens dessus dessous,

Ne t'inquiète pas par le fait que tu es sens dessus dessous.

Hâfez, si tu as la passion d'une Union mystique avec Dieu,

Tu ne seras que poussière au seuil de ceux qui contemplent Dieu.

 

(Traduction Vincent-Mansour Monteil)

*

L'AMOUR MYSTIQUE

O toi qui ignores l'amour, efforce-toi de le connaître ; tant que tu ne feras pas route, comment donc deviendras-tu guide? A l'école de vérité, auprès du professeur d'Amour, fais donc effort, ô mon enfant, pour devenir maître à ton tour. Suivant l'exemple des mystiques, fais bon marché de l'existence qui ne vaut pas plus que le cuivre ; ainsi tu trouveras l'Amour, cette pierre philosophale ; en or tu seras transmué. La nourriture et le sommeil t'ont mis en dessous de toi-même ; ce n'est qu'en les abandonnant que tu redeviendras  toi-même. Si le feu de l'amour divin tombe en ton cœur et en ton âme, tu resplendiras - je le jure! - plus que soleil au firmament. Plongé dans l'océan divin, un moment, ne pense donc pas à mouiller même un seul cheveu dans les océans de ce monde. Tu seras, de la tête aux pieds, baigné de lumière divine, si tu suis, renonçant au monde, la voie qui mène à la grandeur. Et si l'objet de tes regards est alors la face de Dieu, il ne resteras plus doute : tu seras le parfait mystique. Si de ta vie matérielle les fondements sont renversés, du moins tu n'auras dans le cœur plus rien qui puisse te troubler. Mais si tu es pris du désir, ô Hafiz! de t'unir à Dieu, tu devras te rendre poussière au seuil de tous ceux qui possèdent la science des choses sublimes.

(Traduction Henri Massé)