La Foi de Henry Corbin

Sommaire

Présentation : Henry Corbin

Aperçus biographiques

Témoignages

Un témoignage personnel

Bibliographie

Louis Massignon & Henry Corbin

La figure de l'Imâm

 

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Retour à Henry Corbin

« Terre, Ange, Femme », telle est la Foi de Henry Corbin, comme il l’écrira le 24 avril 1932, au bord d’un lac de Dalécarlie : « Tout cela est une seule chose que j’adore et qui est dans cette forêt. Le crépuscule sur le lac, mon Annonciation. La montagne : une ligne. Écoute ! Il va se passer quelque chose, oui. L’attente est immense ».

            Il s’agit de la foi d’un gnostique, pour qui la gnose « n’est ni une idéologie, ni un savoir théorique contrastant avec la foi », mais « une connaissance salvifique par soi-même ». Cette dernière expression revient fréquemment sous la plume de Henry Corbin. Une gnose, également, qui se présente comme l’antidote du nihilisme, « car, refuser ce monde-ci en vue d’un autre monde vers lequel celui-ci est le passage, ce n’est pas du nihilisme. En revanche, une philosophie qui refuse à la fois ce monde-ci et la perspective d’autres mondes, est bel et bien, elle, du nihilisme ».

            La Terre

            Quant à la Terre dont il est question, la Terre de la Foi de Henry Corbin, il s’agit naturellement de la Terre céleste, de ce « monde intermédiaire », le monde imaginal qui constitue l’apport le plus significatif de l’œuvre de Henry Corbin, même si on a pu lui reprocher, comme Claude Addas, d’en exagérer l’importance, du moins en ce qui concerne la pensée d’Ibn ‘Arabî.

            Mais il faut lire et relire Corps spirituel et Terre céleste, et surtout se laisser gagner par la magie de l’évocation que Henry Corbin donne du Monde imaginal – le « Huitième climat » – qui est aussi le Monde de l’Ange. On comprendra l’importance qu’il revêt pour l’orientaliste, au risque d’être sans doute l’arbre qui cache la forêt dans le cas du sheikh al-Akbar.

             L’Ange

            Le jour de la mort de Henry Corbin, Mircea Eliade notait dans son Journal, à la date du 7 octobre 1978 : « Henry n’a pas souffert. Il est mort avec sérénité tant il était sûr que son ange gardien l’attendait ».

            Certes, il convient de s’entendre sur la nature de cet « ange gardien », qui est, pour Henry Corbin, « l’ange de l’âme incarnée », et dans cette circonstance de sa mort, très précisément « la Figure céleste qui vient en face à face avec l’âme à l’aurore de son éternité ». Ailleurs il parlera aussi des Fravartis, comme des « anges gardiens »,  mais «à condition, ajoute-t-il, de concevoir l’ange gardien comme le pôle céleste, le Moi céleste d’un être dont la totalité est bipolaire, constitue une bi-unité, à savoir celle d’une forme terrestre et d’une forme céleste qui en est la contrepartie supérieure ».

            On connaît les pages admirables qu’il a consacrées à Daênâ et à sa rencontre post-mortem par l’âme humaine : « A l’interrogation de l’âme émerveillée, demandant « qui donc es-tu ? » à la jeune fille qui s’avance à l’entrée du Pont Chinvat et dont la beauté resplendit plus que toute autre beauté jamais entrevue au monde terrestre, elle répond : Je suis ta propre Daênâ », - ce qui veut dire : je suis en personne la foi que tu as professée et celle qui te l’inspira, celle pour qui tu as répondu et celle qui te guidait, celle qui te réconfortait et celle qui maintenant te juge, car je suis en personne l’Image proposée à toi-même dès la naissance de ton être et l’Image voulue enfin par toi-même (« j’étais belle, tu m’as faite encore plus belle »).

            Ces lignes décrivent, en quelque sorte par anticipation, l’ultime vision de Henry Corbin, au moment où il quittera la manifestation terrestre.

            Daênâ est donc l’Ange de la Foi de Henry Corbin, et en tant qu’elle est aussi « l’Idée céleste » de tout être humain, elle apparaît comme le secret de Henry Corbin, comme il le dira lui-même, à propos d’Ibn ‘Arabî : « Ce qu’un être humain rejoint dans l’expérience mystique, c’est le « pôle céleste » de son être, c’est-à-dire sa personne telle qu’en elle et par elle, l’Être Divin dès l’origine des origines, au monde de Mystère, s’est manifesté à soi-même, et s’est fait connaître d’elle sous cette Forme qui est également la forme sous laquelle lui-même se connaissait en elle. C’est l’Idée ou plutôt l’«Ange » de sa personne dont le moi présent n’est que le pôle terrestre ».

            De son côté, Marie-Madeleine Davy apportera en 1989, dans ce qui est son autobiographie spirituelle, Traversée en solitaire, ce témoignage décisif : « Henry Corbin, était un homme « ressuscité » avant d’aborder l’autre rive. Il portait sur son visage et dans ses yeux le scintillement de son appartenance. Dans ses ouvrages et dans ses conférences, il a su faire passer le monde des anges. On perçoit, en le lisant, le bruissement de leurs ailes ».

            Or, on n’accède pas au Monde des anges, - ce Malakût majeur, comme l’appelait Sohravardî, - sans s’exposer à certains dangers. Louis Massignon en avait d’ailleurs averti Henry Corbin : « Les Anges qu’Ibn ‘Arabî nous propose, comme auriges de notre envol, ne sont que ces Jinn qui existaient, paraît-il avant le déluge, - et que les théologiens n’admettent plus, mais qui sont, par leur angélisme étrange, bien dangereux ».

            Il en va autrement si l’on parle du Monde de l’Ange.

            Henry Corbin ne parle jamais que du Monde de l’Ange, dont le seuil est le Verdoyant, al-Khadir, qui est le prophète Elie pour les Juifs et saint Elie pour les chrétiens, et auquel on accède en la présence de son « maître spirituel personnel », de cet Orient, où il est question, selon Henry Corbin « du Moi spirituel transcendant, notre moi à la seconde personne, celui qu’il faut entendre dans la sentence célèbre : « Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ».

            Novalis aussi écrivait : « Nous imaginons Dieu personnel, comme nous nous imaginons personnels nous-mêmes. Dieu est aussi personnel et individuel que nous : car notre prétendu moi n’est pas notre moi véritable, mais seulement son reflet ».

             Ceci pour l’Ange.

            Il faut toutefois ajouter un mot de la fonction médiatrice de l’angéologie telle qu’elle s’exprime dans l’œuvre de Henry Corbin – à propos d’Avicenne : « En fin de compte, écrit-il, c’est peut-être la plus lointaine perspective que nous ouvrirait l’angéologie avicennienne : l’unique et nécessaire médiation qui, s’accomplissant au plan céleste entre la divinité et l’âme individuelle, libère au plan terrestre l’existence individuelle de toutes les formes collectives et institutionnelles ».

            La Femme

            Quant à la Femme, pour Henry Corbin, elle a sans aucun doute à voir avec le Monde de l’Ange, et aussi avec ce que Julius Evola appelle les « Mystères de la Femme ».

            Elle a d’abord à voir avec Stella Corbin, sa femme, depuis 1933 : « Stellae consorti dicatum », telle est l’exergue choisie par Henry Corbin pour son édition d’En Islam iranien. A quoi fera écho cet aveu, en 1978 : « Je fus naguère l’éditeur et le traducteur de Rûzbehân Baqlî de Shîrâz, l’incomparable chantre mystique, en persan, de la haute voie de l’amour humain. C’est sur cette haute voie que je puis affirmer que, sans la présence et la coopération de la compagne qui me préserva de la solitude et des découragements, rien de l’œuvre que j’ai écrite ici n’aurait été possible ».

            Elle appartient, ensuite, à l’Eternellement-Féminin, d’après Goethe, dans le second Faust, cet Eternellement-Féminin, qui est « antérieur même à la femme terrestre, parce qu’antérieur à la différenciation du masculin et du féminin dans le monde terrestre, de même que la Terre supracéleste domine toutes les Terres, célestes et terrestres, et leur préexiste ».

            Elle a avoir, enfin, avec la Beauté et par conséquent avec le secret de la Fidélité amoureuse.

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             « Terre - Ange - Femme », telle est donc la Foi de Henry Corbin, et cette Foi est une Foi de la Résurrection :

            « Mais, alors certainement va surgir soudain de ce lac un cortège d’êtres très beaux. Ils chanteront les funérailles d’Adam ; et parce qu’Adam est mort, il sera dit en un choral où plus de voix s’uniront qu’il n’y eût d’angoisse dans tous ses instants : « Christ est né ! Christ est ressuscité ! ».