La figure de l'Imâm

"S'il n'y avait sur terre, comme humanité, que deux hommes, l'un des deux serait l'Imam"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Voir aussi Le chiisme

Le Maître qui nous accueille, enfin, dans l’intimité de sa demeure, de sa Mosquée, nous l’appelons Le Silencieux, il est l’Ami, le familier de nos deux cœurs, unis dans le même silence, qui est le silence même de l’Amour. Il est l’Adorable que nous contemplons dans le secret de nos âmes, al-Sâmit,

C’est Lui, l’Amour.

 

L’islam, en la personne de son prophète, combine deux tendances (ou deux mystères) : la « Crainte » et l’Amour, déterminant deux attitudes religieuses incarnées respectivement par Aïshâ, Abû Bakr, Omar et Othman d’une part, et par ‘Alî, Fâtima, Hasan et Hoseyn, d’autre part. Les premiers représentent la dimension « sèche », celle de l’efficacité terrestre, la Crainte, c’est-à-dire l’obéissance à la Loi et la crainte du châtiment, et d’une certaine manière l’exotérisme de la religion. Les seconds représentent l’Amour ou l’esprit, et donc l’ésotérisme. Les premiers incarnent le sunnisme, les seconds, le chiisme. C’est l’opposition entre sharî’at (la religion littérale) et la haqîqat (la religion spirituelle).

Or, le garant de la religion spirituelle, c’est l’Imam.  

          Le cycle de la prophétie ou nobowwat étant désormais clos avec la mort du prophète de l’Islam, (depuis Adam, Noé et jusqu’à Jésus), commence un nouveau cycle, qui est en quelque sorte l’ésotérisme de la prophétie, celui de la walayat ou « sainteté ». Walayat a la même racine que walî, c’est-à-dire ami, comme dans l’expression awliyâ allâh, autrement dit les amis ou les aimés de Dieu que sont les prophètes et les Imams.

          Le « guide » nécessaire après la clôture du cycle de la Prophétie, c’est donc l’Imâm, médiateur entre Dieu et les hommes, pont entre le visible et l’invisible. Il est infaillible et il est un intercesseur pour tous les hommes.

           « Si nous voulions nous figurer la situation par un diagramme, écrit Henry Corbin, dans Face de Dieu, face de l’homme nous pourrions nous représenter deux ellipses se recoupant l’une l’autre , telles que le foyer compris dans le champ de leur intersection soit un foyer commun à l’une et à l’autre. Ce foyer commun figurerait l’Imâm. Il y a polarité entre le Deus absconditus et sa Forme théophanique, sa Face qui est l’Imâm ; et il y a polarité entre cette Face et l’homme à qui elle se montre comme Face divine. Mais il n’y a pas de polarité entre l’Absconditum et l’homme »  

          Mais l’Imâm, c’est aussi, en terme de gnose, la « théophanie éternelle », grâce à quoi les adeptes, les amis de Dieu, contemplent ce visage divin, dont l’Imâm est le « miroir ». Il y a en cette perspective quelque chose de radicalement différent de ce qu’on a l’habitude de considérer lorsque l’on parle de soufisme, et même si on peut difficilement soutenir, comme le faisait Henry Corbin, que le soufi sunnite est un chiite « qui n’ose pas dire son nom », ou que le chiisme, c’est « l’ésotérisme de l’islam », il est évident qu’on ne peut ignorer que pour les fidèles chiites, « celui qui connaît son Imâm, connaît son Seigneur. »

          Ainsi l’Imâm est-il un « secret » pour chacun de ses fidèles, de la même manière qu’il existe un « secret » entre le soufi et Dieu, et le fait d’entrer dans l’intimité de l’Imâm, d’appartenir au cercle de ses proches, représente un haut degré d’élévation spirituelle, car l’Imâm est aussi le « Silencieux », le Maître intérieur invisible. L’imamat est « une chose céleste et incréée », de la même manière que Maître Eckhart soutenait en son temps qu’«il y a dans l’âme quelque chose d’incréé et d’incréable »