Depuis 1999, la revue Contrelittérature
entretient la flamme d’une démarche singulière :
« Nous sommes partis de cette évidence, énoncée un
jour par Henry Montaigu, qu’« il n’y avait qu’un
seul scandale, et c’est la manifestation ». Mais ce
scandale, ajoute Alain Santacreu, « est
d’abord celui de l’homme séparé de Dieu et c’est par
l’homme qu’il arrive ».
Paraît aujourd’hui aux éditions du Rocher ce
Manifeste pour l’esprit, qui en approfondit le
sens et en déploie toute l’intention. C’est à Alain
Santacreu que revient la responsabilité de présenter
cette démarche, tandis que les auteurs qui y
adhèrent l’appliquent à divers domaines de l’art :
la musique, le théâtre, la poésie, ainsi qu’à la
théologie. On retiendra plus particulièrement les
contributions de Luc-Olivier d’Algange et de Marikka
Dervoucoux. Le premier s’attache au poète romantique
allemand Novalis – « L’espace des météores » – la
seconde à qui l’on doit un ouvrage sur Marie des
Vallées, la « sainte de Coutances », à l’écriture de
Dieu : « Le corps de sable ou l’écriture de Dieu ».
Notons dès à présent que la démarche en question qui
est une révolte contre la littérature contemporaine,
à laquelle il est difficile de ne pas souscrire,
semble plus mystique qu’ésotérique. Il est dit, par
exemple, à la page 50 : « Pour atteindre ce pays de
l’Imam caché ou rejoindre la contrée où se trouve le
château du Vieux Roi Espiritaus, le héros
aura soin de suivre scrupuleusement cet
avertissement de sainte Thérèse d’Avila :
« Il n’y a qu’un chemin, c’est l’oraison. Si on vous
en indique un autre, on vous trompe ». La double
référence à la démarche théosophique de l’Islam
iranien, selon l’expression de Henry Corbin, et à la
pratique de l’oraison chez les Carmes peut entraîner
quelques confusions dans l’esprit du lecteur. De
même, page.63, lorsqu’il est affirmé que « le
langage des « intersignes » dont parle Louis
Massignon, est celui de la langue des oiseaux ».
Quoi qu’il en soit, il convient de distinguer entre
l’intention qui est fondamentalement de se
ressaisir, par la « contrelittérature », d’une
« langue angélique », qui demeure très éloignée, et
quasiment ignorée, de la littérature que nous
connaissons actuellement, et le chemin – sera-t-il
mystique ou initiatique ? - qui reste à parcourir
pour atteindre cette « langue ». Pour ce qui est de
l’intention, René Guénon remarquait déjà, en 1931,
que « la poésie, originairement, n’était point cette
vaine « littérature » qu’elle est devenue par une
dégénérescence qu’explique la marche descendante du
cycle humain ». 75 ans plus tard, la
Contrelittérature apparaît comme une réaction
d’autant plus pertinente que, d’une part, elle se
trouve confrontée à une littérature dont on pourrait
penser qu’elle a atteint son fond, ou son abîme, et
que, d’autre part, elle prétend à un combat pour
l’Esprit – ce qui, effectivement, dans une
perspective mystique, revient à s’engager dans cette
« grande guerre sainte (…) par laquelle l’amour s’en
retourne à sa source. »
Reste le chemin lui-même : voie mystique, comme le
suggèrent les références à Ste Thérèse de Lisieux,
ou voie initiatique ? Voie de Marie des Vallées, du
Cœur sacré de Notre Seigneur et des stigmatisées,
les « colombes poignardées » où l’on retrouve Louis
Massignon, ou bien voie alchimique ou
« philosophale » à laquelle il est fait mention
à plusieurs reprises ? Remarquons toutefois qu’il
n’est guère possible de parler indifféremment des
« œuvres alchimiques de Paracelse, de Boehme ou de
Novalis » (p.90). De même, s’agissant de ce dernier,
on ne comprend pas comment « l’ivresse et l’extase »
seraient « ces formes ultimes de la connaissance
pressenties par Novalis » ! Personne n’est moins
« ivre », moins « extatique » que le poète
romantique allemand pour qui « la vie parfaite est
le Ciel ». L’expérience spirituelle de Novalis,
comme celle de Jacob Boehme, est initiatique,
et non mystique.
La
Contrelittérature est une démarche en devenir, dont
les chemins, sans doute multiples, gagneront à
distinguer entre mystique et initiation. Elle n’en
est pas moins à son commencement parfaitement
« orientée ». Comme l’écrit de manière exemplaire
Luc-Olivier d’Algange : « Avant tout, il importe de
reconquérir cet espace que Henry Corbin a nommé
l’«Imaginal », qui n’est autre que l’imagination
vraie de la théologie. » Ici, la référence à cette
notion vitale, mais si peu retenue par nos penseurs
contemporains, prend toute sa mesure, car ce n’est
pas seulement la littérature qui est atteinte par ce
mal typique de notre monde moderne qu’est « le règne
de la quantité ». Or, quel est ce mal ? Sinon celui
dont nous mourrons finalement si nous n’en venons
pas à recourir, et à temps, au seul antidote qui
nous reste en Occident : la reconquête de cet
« envers du monde visible » qui donne sa plénitude à
l’homme, dans sa relation au divin, à l’homme
intégral, pourrait-on dire, à cet homme
traditionnel qui fut celui de notre Occident
chrétien jusqu’à la fin du moyen âge.
Et, pour ce qui est de la littérature proprement
dite, certes, on conclura avec Alain Santacreu que
« la Contrelittérature est le réenchantement du
monde comme roman : elle est l’écriture du
monde comme relation ». |