> Aperçus biographiques
Ami personnel de Frithjof Schuon, Titus Burckhardt, né
à Florence en 1908 et mort à Lausanne en 1984, compte parmi les grands
« ésotéristes » du 20ème en Occident, parce
qu’il a développé, dans le sens de sa propre vocation en Dieu, une œuvre
originale, toute entière consacrée à l’art, à l’art traditionnel
et sacré, naturellement, qu’il a illustré par des ouvrages auxquels il
faut sans cesse se référer. Né dans une famille suisse germanique
d’artistes et d’historiens de l’art, il aura beaucoup voyagé dans
tous les pays du monde arabo-musulman, avec une réelle prédilection pour
le Maroc, où il séjournera longuement dans les années 30. Durant ces
années, il apprendra aussi l’arabe et se convertira à l’ésotérisme
musulman – sous le nom de Sidi Ibrahim. Ceci, avant de rentrer à
Lausanne pour y diriger une maison d’édition (Urs Graf Verlag), spécialisée
dans la reproduction de manuscrits médiévaux, et pour se consacrer à
des traductions, articles et ouvrages : sur l’alchimie,
l’astrologie et l’art sacré.
Pourquoi l’art ? C’est, comme il le dira lui-même, que
« l’étude de l’art islamique, comme celle de n’importe quel
autre art sacré, peut conduire, lorsqu’elle est entreprise avec une
certaine ouverture d’esprit, vers une compréhension plus ou moins
profonde des vérités ou réalités spirituelle qui sont à la base de
tout un monde à la fois cosmique et humain ». Mais aussi, parce
que, selon le mot du prophète de l’Islam, « Dieu est beau et il
aime la Beauté » : « Cette parole du Prophète,
écrit-il, ouvre des perspectives illimitées, non seulement pour la
vie intérieure, où la beauté aimée par Dieu est avant tout celle de
l’âme, mais aussi pour l’art, dont le vrai but, compris à la lumière
de cet enseignement prophétique, est de prêter un support à la
contemplation de Dieu. Car la beauté est un rayonnement de l’univers,
et toute œuvre belle en est un reflet. »
En
1972, il sera nommé expert auprès de l’UNESCO et sera chargé,
jusqu’en 1977, d’un programme de préservation de la médina de Fès.
Le Maroc est peut-être le pays auquel il restera le plus attaché, parce
qu’il aura trouvé précisément dans ce pays « ce que l’Occident
ne peut plus donner, parce qu’il l’a perdu : la présence du Beau
dans la vie quotidienne, dans l’entourage bâti, dans le vêtement
viril, dans les objets usuels faits de main d’homme et non par la
machine. » Cependant, trente ans plus tard, on peut s’interroger
sur cette « présence du Beau dans la vie quotidienne » en
Orient, en général, car si ce dernier n’a que sa décadence à
opposer à la « déviation » occidentale, elle ne sera plus
bientôt pour des hommes comme Titus Burckhardt qu’une nostalgie, et
cela même si l’Orient, par son activité en général, continue de témoigner
malgré tout et à l’évidence qu’il n’y a pas de différence,
« au point de vue de la valeur humaine globale, entre l’Orient et
l’Occident ».
Non seulement sa mission dans la médina de Fès, mais aussi toute la vie de
Titus Burckhardt est une illustration exemplaire de ce propos de Frithjof
Schuon dans Sur les traces de
la religion pérenne: « Si a priori l’Occident a besoin
de l’Orient traditionnel, celui-ci a besoin a posteriori de l’Occident
qui a été à son école »
A propos de Roger du
Pasquier
De
ce point de vue, l’itinéraire personnel de Roger du Pasquier qui trouva
un jour René Guénon sur son chemin est exemplaire. Journaliste, il a
en Indonésie, puis en Inde, à la faveur de séjours professionnels,
l’expérience de « ce problème majeur de notre temps »,
selon ses propres termes, à savoir « la confrontation entre l’Orient
et l’Occident, entre deux tranches de l’humanité, l’une statique et
encore largement fidèle aux valeurs de son passé, l’autre dynamique,
tournée vers l’avenir et vouée à l’acquisition du bien-être matériel,
devenu le seul critère du progrès ». C’est la lecture de l’Introduction
générale à l’étude des doctrines hindoues de René Guénon qui
sera « une sorte d’illumination » et, selon son expression,
« comme le déchirement d’un voile devant des horizons illimités ».
Roger du Pasquier, « retourné » par cette lecture qui non
seulement modifiait son regard sur l’Inde et ses peuples se met en quête
d’un guru. Quête infructueuse, décevante même, auprès de Shri
Aurobindo. De retour en Suisse, en 1950, il apprend que René Guénon s’était
converti à l’Islam et avait adhéré à l’ésotérisme musulman. Il réalisera
le même programme, et c’est à l’étude de l’Islam qu’il
consacrera désormais ses efforts, marquant, il y a quelques années, ce
qu’il faudrait méditer en ce début de vingt et unième siècle, que
l’Islam, « en dépit de sa décadence, de ces turbulences et de
ces excès injustifiables commis en son nom (…) demeure un
extraordinaire réservoir de foi et de prière » et que, « s’il est toujours capable d’attirer les
Occidentaux en quête de l’essentiel », il le doit à « sa
spiritualité toujours vivante et au fait fondamental qu’il reste
expression directe de la Vérité transcendante, sans laquelle il ne
saurait y avoir de véritable religion », in « Humble
voyage d’un occidental vers l’Islam », Le Temps stratégique,
n°22, automne 1987. |