GABRIEL BOUNOURE

MOMENT DU ROMANTISME ALLEMAND

Retour à Novalis - A propos de Novalis 

"Un doux adolescent éteint son flambeau et s'endort.

Douce devient la mort comme un murmure de harpe."

Ainsi s'exhalent les Hymnes à la Nuit, soupirs juvéniles, tristesse nerveuse, suavité d'un printemps de la force mâle qui faute d'avoir pu se heurter encore aux antiques nécessités se dilate aux limites de la vie dans l'Absolu."

 

"Le romantisme français ne chantait que les conflits de l'homme général avec les nécessités apparentes et triviales de la vie dans le cadre d'une nature personnalisée qui prêtait aux effets du plus grossier théâtre. Mais du coup nous entrions avec Novalis "dans une école de princes, dans une corporation plus haute où me suivaient des condisciples bien aimés". sentiment grisant d'une promotion et d'une élection. Il ne s'agissait plus d'une dame en gondole : il s'agissait du mystère sans fond de la subjectivité, de l'ivresse, du multiple et de la totalité harmonieuse du monde.  Voici que nous était promise une initiation révélant aux seuls privilégiés d'un collège idéal la connaissance de la réalité unique sans quoi la vie n'est qu'une suite de signes privés de sens, une caricature sans original. Nous aIlions savoir enfin de quoi il était question, au lieu de rire et de pleurer comme des esclaves obscurs. Nous allions apprendre le secret et le maître mot. Nous serions devant tout événement de la vie et toute création de l'art comme le jeune peintre allemand de la Princesse Brambilla, assis au café Gréco, à côté du charlatan Celionati et transposant toutes les grimaces du carnaval romain dans le ciel intérieur de la pensée infinie. En ces jours d'autrefois, nous attendions la nuit avec impatience pour quitter les voies publiques de la pensée, brûlant de nous perdre dans les enchantements du fleuve bleu, dans la flamme domestiquée et la nature obéissante au génie. La liberté la plus haute, celle de l'art absolu, exaltait notre jeune et tendre orgueil. C'est pourquoi dans la buée du souvenir et l'irisation de la distance, ces adolescents merveilleux, dont la biographie nous était alors inconnue et qui, sans attaches de temps et d'espace, brillaient à nos yeux comme sylphes et génies, restent tout mêlés à nos commencements et vraiment indistincts d'une certaine ère personnelle dont les déploiements iront jusqu'où.... Nos yeux d'aujourd'hui ne peuvent s'empêcher de les voir nimbés d'une merveilleuse vapeur. Une mélancolie tendrement platonicienne, l’échec de l'irréalité, la tristesse qui baigne toutes les formes du devenir et fait l'âme désolée de la gymnastique et de la musique, la tristesse d'Hypérion et de tout ce qui a destin, enveloppe la figure de ces jeunes poètes vêtus de redingotes ou de vestes aux amples revers et retranchés dans les circonvallations d’une altière cravate.  Plusieurs d'entre eux sont morts jeunes, Wackenroder, Novalis et durent toute leur vie se sont sentis frères de la mort."

Gabriel Bounoure, "Moment du romantisme allemand", Cahiers du Sud, 1937