"La différence qui sépare
Jean-Paul de Novalis et qui fait de celui-ci le véritable initiateur du romantisme
allemand est particulièrement sensible dans les conclusions que l'un et l'autre tirent
d'une analogue contemplation de la mort. Tandis que Jean-Paul s'abandonne à la
pensée consolante de l'au-delà et se contente des voluptueuses ivresses où le monde
semble s'illuminer d'une clarté surnaturelle, Novalis trouve dans la mort de Sophie
l'enseignement qui le persuade d'employer toute sa volonté à transfigurer la
vie, à la vivre pleinement, hic et nunc, selon la loi de l'au-delà. Mieux
encore, il met tout son espoir dans une conquête que l'humanité entière, par ses
poètes et ses penseurs, pourrait faire ici-bas, et qui serait la transformation réelle
du monde terrestre, enfin réconcilié avec l'harmonie générale et réintégré dans
l'éternité. L'élément volontaire de la pensée de Novalis est ce qui le distingue de
tous ses prédécesseurs.
Peut-on parler d'un échec encore, lorsqu'on voit
Novalis désormais vivre réellement dans l'attente du miracle, et dans la préparation au
miracle? Changer la vie, comme le souhaita plus tard Rimbaud, il le veut, au sens le plus
littéral, et tout son effort trouve son centre dans une ambition d'élever l'homme
au-dessus de lui-même.
Cette notion d'élévation, du passage à un
plan ou à une puissance nouvelle est essentielle chez Novalis. Il voit désormais toute
chose sous ce double aspect possible : "L'acte de se dépasser soi-même est partout
l'acte suprême, - le point d'origine, - la genèse de la vie." (...).
L'élévation à une autre puissance ne se borne
pas à cette universelle chasse aux symboles, qui en est la forme la plus frappante, mais
la plus basse. Tous les actes de la vie et de la pensée doivent être pareillement
modifiés, jusqu'à cet instant où l'homme aura acquis une souveraineté totale. Car
l'ambition profonde de Novalis ne va à rien moins qu'à changer la condition humaine.
"Nous ne devons pas seulement être des
hommes, - nous devons être plus que des hommes."
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