> ALBERT BÉGUIN

Retour à Novalis - A propos de Novalis 

 

   Albert Béguin, L'âme romantique et le rêve, Librairie José Corti, 1939, pp. 200-201.

   "La différence qui sépare Jean-Paul de Novalis et qui fait de celui-ci le véritable initiateur du romantisme allemand est particulièrement sensible dans les conclusions que l'un et l'autre tirent d'une analogue contemplation de la mort. Tandis que Jean-Paul s'abandonne à la pensée consolante de l'au-delà et se contente des voluptueuses ivresses où le monde semble s'illuminer d'une clarté surnaturelle, Novalis trouve dans la mort de Sophie l'enseignement qui le persuade d'employer toute sa volonté à transfigurer la vie, à la vivre pleinement, hic et nunc, selon la loi de l'au-delà. Mieux encore, il met tout son espoir dans une conquête que l'humanité entière, par ses poètes et ses penseurs, pourrait faire ici-bas, et qui serait la transformation réelle du monde terrestre, enfin réconcilié avec l'harmonie générale et réintégré dans l'éternité. L'élément volontaire de la pensée de Novalis est ce qui le distingue de tous ses prédécesseurs.

    Peut-on parler d'un échec encore, lorsqu'on voit Novalis désormais vivre réellement dans l'attente du miracle, et dans la préparation au miracle? Changer la vie, comme le souhaita plus tard Rimbaud, il le veut, au sens le plus littéral, et tout son effort trouve son centre dans une ambition d'élever l'homme au-dessus de lui-même.

   Cette notion d'élévation, du passage à un plan ou à une puissance nouvelle est essentielle chez Novalis. Il voit désormais toute chose sous ce double aspect possible : "L'acte de se dépasser soi-même est partout l'acte suprême, - le point d'origine, - la genèse de la vie." (...).

    L'élévation à une autre puissance ne se borne pas à cette universelle chasse aux symboles, qui en est la forme la plus frappante, mais la plus basse. Tous les actes de la vie et de la pensée doivent être pareillement modifiés, jusqu'à cet instant où l'homme aura acquis une souveraineté totale. Car l'ambition profonde de Novalis ne va à rien moins qu'à changer la condition humaine.

    "Nous ne devons pas seulement être des hommes, - nous devons être plus que des hommes."