C'était l'aube d'un
jour d'été, quand je naquis,
Quand je sentis en
moi, pour la première fois,
Mon pouls vivant - et
tandis que l'amour
S'égarait toujours
plus au profond de l'extase,
Je m'éveillais, et
l'impatience grandissait
De moment en moment,
se faisait plus pressante
A vouloir l'union plus
intime et totale.
- 0 Volupté,
puissance où s'engendre mon être!
Je suis le centre, le
foyer, la source sainte
D'où torrentiellement
s'élance tout désir,
Et vers quoi tout
désir, divers quand il se brise,
Finit par revenir,
apaisé, se rejoindre.
Je vous suis inconnu,
et vous m'avez vu naître!
N'avez-vous pas été
témoins du premier choc,
Tout somnambule encor,
de ma présence en moi,
Ce joyeux soir?
N'avez-vous pas, sur vous, senti
Passer le doux frisson
ravi du feu nouveau ?
J'étais là, tout noyé
dans les miels du calice,
Parfumé, parfumant; le
vent d'or du matin
Berçait la fleur tout
doucement. Source intérieure
J'étais, lutte suave :
à travers et sur moi
Tout ruisselait et
m'élevait exquisement.
Puis un premier pollen
vint choir sur le pistil,
- Le baiser, songez-y,
quand on sortit de table.
Refluant tout à coup
dans mes émanations,
- Oh! le temps d'un
éclair - et déjà je bougeais,
Agitant le calice et
les fins filaments.
Et là, tandis que je
me commençais moi-même,
Par un précipité
rapide des pensées
Les sens terrestres,
tout soudain, avaient pris corps.
J'étais aveugle encor,
mais des lueurs stellaires
Pointaient dans les
lointains merveilleux de mon être.
Rien qui fût proche
encore, et je n'étais qu'au loin
L'écho du fond des
temps et aussi du futur.
L'amour, sa nostalgie
et ses divinations
Firent d'un trait
surgir et croître la conscience,
Et comme, en moi, la
volupté montait ses flammes,
La douleur la plus
haute, aussi, me transperça.
Le monde, autour du
tertre clair, s'épanouit
Et la parole du
prophète acquit des ailes :
Deux, ils ne le sont
plus, mais Henri et Mathilde
Sont l'un à l'autre
unis en une même image.
- je m'élevai dès
lors, nouveau né dans le ciel,
Puisque était consommé
le terrestre destin
Au glorieux instant de
transfiguration;
Aussi le Temps, qui
désormais avait perdu
Ses droits,
réclamait-il ce qu'il avait prêté.
Et le monde nouveau
subitement parait,
Qui éclipse l'éclat du
plus brillant soleil
A présent qu'on voit
poindre hors des ruines moussues
Un avenir d'une
splendeur prodigieuse,
Et que tout le banal
avec l'habituel
Dorénavant se montre
étrange et merveilleux.
En toutes chose l'Un,
et dans l'Un toutes choses,
Voir l'image de Dieu
sur une herbe, un caillou,
L'esprit de Dieu chez
l'homme et dans les animaux,
Là est ce qu'on se
doit d'avoir au fond du coeur.
Rien n'est plus
commandé par le temps ni l'espace,
Le futur est ici
présent dans le passé.
Le voici donc ouvert,
le règne de l'Amour,
Et Fable qui commence
d'en filer les jours.
Le jeu initial
inaugure tout être,
Chacun songe et se
tend aux puissances du verbe;
Ainsi est-il que la
grande âme universelle
Immensément partout
vit et s'épanouit.
Tout se doit prendre
l'un dans l'autre en cohérence,
Et l'un par l'autre
chacun doit croître et mûrir;
Nul ne saurait se voir
autrement que dans tous,
Car c'est en se mêlant
intimement à eux,
En pénétrant avidement
leurs profondeurs,
Que chacun rafraîchit
spontanément son être
Et ouvre sa pensée à
mille nouveautés.
Le monde se fait rêve;
et rêver devient monde.
Ce qu'on croyait, en
fait, être arrivé déjà,
On peut le voir, de
loin, qui seulement s'avance.
L'Imaginaire est libre
et peut vivre à sa guise,
Il peut régner enfin,
et tisser ce qu'il veut,
Voilant ici,
découvrant là certaines choses
Et puis s'évaporant,
léger, dans sa magie.
La souffrance et la
volupté, la mort, la vie
Sont ici en rapports
parfaits de sympathie
Jamais de sa blessure
il ne saurait guérir
Celui qui s'est voué
au plus sublime amour.
Il faut, dans la
douleur, que le bandeau s'arrache,
Le bandeau refermé sur
l'oeil intérieur,
Et que soit orphelin,
un jour, le coeur fidèle,
Avant que de quitter
ce monde de tristesse.
Le corps va se défaire
et fondre dans les larmes
Le monde en son entier
devient un grand tombeau
Où le coeur, qui se
brûle au feu suppliciant
De son désir, ne
viendra retomber qu'en cendres.
Traduction Armel Guerne |