L'ART SACRE DE L'ISLAM

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Aperçus sur l'art islamique - L'Image divine - Notions d'art islamique

 

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Copyright©1998 Jean Moncelon

 

 

On parle d’art sacré, de musique sacrée ou d’architecture sacrée par exemple, on parle aussi de science sacrée, on parle, enfin, de langue sacrée, comme l’arabe ou le sanscrit, par opposition aux langues profanes, mais aussi aux langues liturgiques, comme le latin. Ce terme de sacré  peut se définir ainsi par opposition à la fois au profane et au religieux. Il existe, de fait, un art profane, un art religieux et un art sacré. Pareillement, on parle d’art traditionnel, par opposition à l’art moderne. Il est clair, par exemple, que " pour qu’un art puisse être appelé " sacré ", il ne suffit pas que ses sujets dérivent d’une vérité spirituelle, il faut aussi que son langage formel témoigne de la même source " (Titus Burckhardt). Or, on assiste en Occident, depuis des siècles, en fait depuis la Renaissance, à l’émergence d’un langage formel qui s’est détourné et même retranché de sa source, et dont les modèles ne reflètent plus des réalités spirituelles. Ainsi l’art religieux est-il un art dont les sujets dérivent sans doute d’une vérité spirituelle, mais dont le langage formel, lui, s’est affranchi de sa source.

En rompant avec la tradition, écrit Paul Evdokimov, l’art n’est plus intégré au mystère liturgique. De plus en plus autonome et subjectif, il quitte sa " biosphère " céleste. Les vêtements des saints ne font plus sentir sous leurs plis les " corps spirituels ", et même les anges apparaissent des êtres faits de chair et de sang. (...) Le colloque de l’esprit à l’esprit s’estompe, la vision de la " flamme des choses " fait place à l’émotion, aux transports de l’âme, à l’attendrissement. " Il se trouve que l’art de l’Islam, lui, a conservé, dans la plupart de ses manifestations, y compris de nos jours, cette fidélité à l’origine qui a fait de lui un art sacré, qui en fait toujours un art sacré, même lorsqu’il emprunte à l’Occident des technologies modernes

 

Qu’appelle-t-on art sacré?

Il s’agit essentiellement d’un art qui s’inscrit dans une conception théocentrique de l’homme.

Il s’agit d’un art dont les manifestations font référence à des réalités surnaturelles, mais en usant d’un langage formel qui exprime son origine divine, et non d’un langage qui s’en est coupé, un langage profane.

On ne peut parler d’art sacré, du moins dans les religions du Livre, à savoir le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, que dans la mesure où cet art s’inscrit dans une vision théocentrique de l’homme. Le problème de l’art chrétien, c’est qu’il correspond, depuis la Renaissance, à une conception anthropocentrique de l’univers et même, depuis un siècle environ, à un état du monde dont l’homme est désormais absent. L’art islamique, lui, est demeuré dans une conception théocentrique et c’est pourquoi il peut être appelé, dans ses manifestations les plus diverses, un art sacré ou un art traditionnel.

Il s’agit bien en l’occurrence d’une question de formes ou de langage formel. Tout art, religieux ou profane, peut emprunter ses formes à l’art sacré ; en revanche, l’art sacré, lui, ne peut emprunter ses formes ou son langage formel à un art profane. On pourrait même dire que l’art profane est un art sacré qui a été profané.

L’art doit choisir entre vivre et mourir ou mourir pour vivre ", écrit Paul Evdokimov. L’art sacré est l’art qui a choisi de mourir pour vivre et ce qui meurt c’est, en définitive, l’artiste, qui renonce à représenter le monde à l’image de son " âme dévastée ", de ses passions ou de ses pulsions.

L’art sacré est également un " art réel ", car, selon le mot de Titus Burckhardt, " les choses ne sont réelles que dans la mesure où elles participent de la lumière de l’Être ". Il s’en faut de beaucoup, malheureusement, que l’art moderne en Occident soit un " art réel " et donc un art sacré. Et il en est ainsi autant de l’art profane que de l’art religieux : " Toute la controverse sur " l’art sacré " qui fait rage en ce moment en Occident se meut sur un terrain et se débat dans une alternative qui sont également révélatrices de l’hétérogénéité complète entre les deux arts sacrés d’Orient et d’Occident. Plus exactement, ce qu’elle montre surtout, c’est que l’art religieux d’Occident, quelle que soit la conception qu’on s’en fait, n’a absolument rien de sacré, au sens où les icônes sont sacrées... "

L’art sacré se réfère à un centre et à une origine. Dans l’art de l’Islam, c’est la Kaaba qui symbolise ce centre et cette origine. Nous y reviendrons.

Il s’exerce, par conséquent, dans une société organisée autour de ce pôle, c’est-à-dire au sein d’une organisation sociale qui repose sur des principes traditionnels. C’est pourquoi l’art chrétien du moyen âge a été un art sacré et que l’art de l’islam demeure un art sacré partout où il a résisté à l’influence de l’Occident. Et c’est aussi pourquoi il existe tant de parenté entre l’art musulman et l’art chrétien du moyen âge et autant d’exemples d’interpénétrations culturelles, y compris en France.

L’art sacré est un art impersonnel. Devant une manifestation d’art traditionnel, une calligraphie arabe ou une icône, les sentiments éprouvés sont identiques. Il s’agit de la même référence au monde divin, alors que face à une œuvre d’art moderne les réactions apparaissent différentes, on pourrait même dire légitimement  différentes, puisque chaque réaction est de l’ordre du subjectif, de l’émotion, de la passion voire du fantasme...

Dans le même ordre d’idées, on peut dire que tout art sacré favorise avant tout la contemplation, alors que l’art profane en détourne, parce qu’il introduit une image ou une forme, autrement dit un voile, entre l’esprit et le monde divin.

Enfin, quand l’art se coupe de ses principes traditionnels, il devient art moderne, par opposition à l’art traditionnel qui est, lui, un art sacré.

La beauté en question

" La substance de l’art, c’est la beauté ". Le lien, dans l’art islamique, est évident, - on rappellera le mot du prophète Mohammed : " Dieu est beau et Il aime la beauté  ". Or, cette beauté est visible, et se manifeste dans les créatures, les paysages, les réalisations artistiques, et elle est invisible, si l’on peut dire, lorsqu’elle se contemple dans le secret du cœur.

Elle est sensible dans ses manifestations visibles, lorsqu’elle évoque le divin. Elle se fait intime, en revanche, lorsque Dieu visite le cœur du croyant. Mais pour percevoir cette Beauté, pour entrer dans la contemplation de cet invisible ravissement, il faut faire appel à des sens intérieurs : " Pour voir Ton visage, il faut des yeux capables de regarder l’âme / Ce n’est pas au niveau de mon œil qui ne regarde que ce monde " (Hafez).

L’art sacré consiste par conséquent à montrer la Beauté divine. Il est l’art de la Beauté divine, telle qu’elle se manifeste en ce monde et s’il a sa source dans la même Révélation, il se distingue selon les religions, selon le message qu’elles délivrent chacune, issu d’une doctrine de l’Union, comme dans le christianisme, ou, s’agissant de l’Islam, d’une doctrine de l’Unité.