Le secret
initiatique dans une organisation est du même ordre que le secret du cœur pour
l’initié : il ne saurait être communicable ou, comme le dit René Guénon,
il est tel « parce qu’il ne peut pas ne pas l’être ».
Pour faire comprendre, ce qu’on entend par « secret du cœur »,
on se rapportera à ce que René Guénon dit du soufi : « Personne
ne peut jamais se dire çûfî, si ce n’est par pure ignorance,
car il prouve par là même qu’il ne l’est pas réellement, cette
qualité étant nécessairement un secret (« sirr ») entre le
véritable cûfî et Allâh ». Ce n’est donc ni à
ce secret que s’applique la discipline de
l’Arcane. Mais ce n’est pas non plus au « secret » de
l’initiation, selon le mot de Novalis : « Le vrai secret se
garde tout seul et doit exclure de soi-même les profanes. Qui l’entend
est de soi-même, à juste titre, un initié. »
Si
la notion de « secret » n’a « rien à voir avec la
discrétion ou la dissimulation », parce qu’il est tel « par
la nature des choses », il n’en reste pas moins que la disciple de
l’Arcane existe et non seulement pour des mesures de prudence, lorsque
la situation politique ou religieuse peut mettre en péril les « initiés ».
Car, la discipline de l’arcane est autant « respect de la vérité
qui n’est due qu’à celui qui est digne de la recevoir, capable de
l’entendre » que « clause de sauvegarde personnel devant
l’ennemi persécuteur », selon le mot de Henry Corbin. On pense en
particulier à la situation particulière des Ismaéliens dans le monde
musulman, et à ce que l’on nomme taqiyya, c’est-à-dire à
cette règle de dissimulation à laquelle les fidèles ismaéliens peuvent
recourir en cas de danger. Mais surtout, elle s’impose dès lors qu’il
est impératif que certains propos tenus entre initiés n‘en
franchissent pas le cercle de ces initiés. Leur divulgation entraînerait, en effet, une
confusion, dans l’esprit de ceux qui ne sont pas initiés, entre
« les deux ordres ésotérique et exotérique ». Bien sûr,
c’est le nom de al-Hallâj qui vient aussitôt à l’esprit,
puisqu’il fut mis à mort précisément pour cette raison et même
s’il entrait dans sa vocation qu’il dût finir ainsi : « Tuez-moi,
mes féaux camarades… (Dîwân). Mais on pourrait aussi évoquer, en
Chrétienté, les persécutions infligées à Jacob Boehme.
A
propos de la discipline de l’arcane, on signalera également le contexte
où l’occultation de l’Imâm place les Ismaéliens : « Ils
propagent leur appel en secret et en observant la discipline de l’arcane
(ketmân), car le monde terrestre ne peut jamais rester privé, fût-ce
un seul instant, de celui qui en est le contrepoids devant Dieu, qu’il
soit manifesté publiquement ou à découvert, où qu’il doive rester
caché et incognito »
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