La discipline de l’Arcane et le « secret »

« L’amour jaloux coupe aux initiés la langue, / mais le triste secret tombe en bouche profane »

Hafez Shirazi, Le miroir aux illusions, 107

SOMMAIRE

Thèmes typiques

L'initiation - Théories cycliques - Le Maître - Le Centre spirituel - Le Monde supra humain - La voie ésotérique : Essai de géosophie

 

 

 

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          Le secret initiatique dans une organisation est du même ordre que le secret du cœur pour l’initié : il ne saurait être communicable ou, comme le dit René Guénon, il est tel « parce qu’il ne peut pas ne pas l’être ». Pour faire comprendre, ce qu’on entend par « secret du cœur », on se rapportera à ce que René Guénon dit du soufi : « Personne ne peut jamais se dire çûfî, si ce n’est par pure ignorance, car il prouve par là même qu’il ne l’est pas réellement, cette qualité étant nécessairement un secret (« sirr ») entre le véritable cûfî et Allâh ». Ce n’est donc ni à ce secret que s’applique la discipline de l’Arcane. Mais ce n’est pas non plus au « secret » de l’initiation, selon le mot de Novalis : « Le vrai secret se garde tout seul et doit exclure de soi-même les profanes. Qui l’entend est de soi-même, à juste titre, un initié. »

Si la notion de « secret » n’a « rien à voir avec la discrétion ou la dissimulation », parce qu’il est tel « par la nature des choses », il n’en reste pas moins que la disciple de l’Arcane existe et non seulement pour des mesures de prudence, lorsque la situation politique ou religieuse peut mettre en péril les « initiés ». Car, la discipline de l’arcane est autant « respect de la vérité qui n’est due qu’à celui qui est digne de la recevoir, capable de l’entendre » que « clause de sauvegarde personnel devant l’ennemi persécuteur », selon le mot de Henry Corbin. On pense en particulier à la situation particulière des Ismaéliens dans le monde musulman, et à ce que l’on nomme taqiyya, c’est-à-dire à cette règle de dissimulation à laquelle les fidèles ismaéliens peuvent recourir en cas de danger. Mais surtout, elle s’impose dès lors qu’il est impératif que certains propos tenus entre initiés n‘en franchissent pas le cercle de ces initiés. Leur divulgation entraînerait, en effet, une confusion, dans l’esprit de ceux qui ne sont pas initiés, entre « les deux ordres ésotérique et exotérique ». Bien sûr, c’est le nom de al-Hallâj qui vient aussitôt à l’esprit, puisqu’il fut mis à mort précisément pour cette raison et même s’il entrait dans sa vocation qu’il dût finir ainsi : « Tuez-moi, mes féaux camarades… (Dîwân). Mais on pourrait aussi évoquer, en Chrétienté, les persécutions infligées à Jacob Boehme.

A propos de la discipline de l’arcane, on signalera également le contexte où l’occultation de l’Imâm place les Ismaéliens : « Ils propagent leur appel en secret et en observant la discipline de l’arcane (ketmân), car le monde terrestre ne peut jamais rester privé, fût-ce un seul instant, de celui qui en est le contrepoids devant Dieu, qu’il soit manifesté publiquement ou à découvert, où qu’il doive rester caché et incognito »