AFGHANISTAN

Témoignages de voyageurs illustres du 20ème siècle

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Bruce Chatwin ou la nostalgie

"S'il [ Robert Byron, auteur de La route d'Oxiane ] était vivant aujourd'hui, je crois qu'il admettrait qu'avec le temps (tout prend du temps en Afghanistan), les Afghans feront quelque chose de terrible à leurs envahisseurs. Peut-être réveilleront-ils les géants endormis de l'Asie centrale?

Mais ce jour ne nous rendra pas les choses que nous avons aimées : les journées hautes et claires et les calottes de glace bleue au sommet des montagnes; les rangées de peupliers blancs palpitant dans le vent et les longs drapeaux à prières blancs; les champs d'asphodèles qui suivaient les tulipes; ou les moutons à queue grasse tavelant les collines au-dessus de Chakcharan et le bélier à la queue si grosse qu'il lui fallait un chariot pour la traîner. Nous ne nous allongerons pas sur le dos au Château rouge pour observer les vautours tournoyer au-dessus de la vallée où fut tué le petit-fils de Gengis Khan. Nous ne lirons pas les Mémoires de Babur dans son jardin à Istalif et ne verront pas l'aveugle qui y trouve son chemin grâce à l'odeur des buissons de roses. Ou nous ne nous assiérons pas dans la paix de l'islam avec les mendiants de Gazar Gagh. Nous ne monterons pas à Banyan sur la tête du Bouddha, debout dans sa niche comme une baleine en cale sèche. Nous ne dormirons pas sous le tente des nomades et n'escaladerons pas le minaret de Djam. Et nous perdrons les goûts : le pain chaud, amer et grossier; le thé vert parfumé à la cardamome; les raisins que nous rafraîchissions dans la neige fondue; et les noix et les mûres séchées que nous mâchions contre le mal des montagnes. Et nous ne retrouverons pas la senteur des champs de haricots, ni l'odeur résineuse du feu de déodar, ni les effluves passagers d'un léopard des neiges à quatre mille trois cents mètres d'altitudes."

Bruce Chatwin, 1980, préface à Robert Byron, La route d'Oxiane, Payot, 1999

13 août 1969

"Des nomades qui campaient près des champs couverts de chaumes. Elizabeth suivait vêtue de culottes bouffantes bleues, coiffée d'un chapeau de paille, sa cage couverte de chintz rouge secouée par le vent. Nous avons atteint une large route que nous avons suivie jusqu'à la ziggourat om le camion est apparu.

Camps nomades sur le chaume. Juments poulinières avec leurs poulains près des tentes. Forêt de jambes de chameaux escaladant les montagnes. Les chevaux sont beaux et piaffent sur la route romaine, race mongole, robe gris louvet. Chèvres à longs poils faisant tournoyer les nuages de poussières. Des femmes droites avec du khôl noir et des voiles verts dans le vert de l'air. Tout le car priait et se lavait."

Hérat, 15 août 1969

"Tombes de saints. Demi-cylindres de grossières dalles de marbre blanc ceints de balustrades. Galets de marbre et de basalte disposés sur les tombes où poussent d'anciens arbres étendant leurs branches, pins et figuiers blancs, feuilles gris-vert tachetant l'ombre glauque. Des enfants psalmodiant leurs leçons à l'unisson. Milans magiques dans le ciel. Symbolisme des drapeaux de prière attachés aux parties inclinées des arbres, orange, bleus et verts. Le corps du saint qui donne directement la vie, qui donne de l'ombre."

Bruce Chatwin, Photographies et carnets de voyage, Grasset, 1993