RULMAN MERSWIN

 

1307 – 2007

 

SEPT CENTIEME ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE RULMAN

 MERSWIN

 

 

[Nouveau]

Nouvelle traduction du Livre des neuf rochers de Rulman Merswin, Arfuyen, 2011.

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L'Ile Verte :

Heidelberg, 20-23 juillet 2007 : "Approches de l'Esprit - le monde imaginal / Zugänge zur Geist - Die imaginative Welt".

Présentation du projet

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       La vie et l’expérience spirituelle de Rulman Merswin, mort le vendredi 18 juillet 1382, à Strasbourg, la fondation de l’Ile Verte dans cette même ville, en 1366, ne peuvent s’expliquer sans la présence mystérieuse d’un « homme de l’Oberland » qui n’est pas autrement connu que sous le nom d’Ami de Dieu de l’Oberland. Son origine (le Haut-Pays) reste mystérieuse, malgré les investigations des disciples de Rulman Merswin et les recherches entreprises au cours des 19e et 20e siècles.

       Celui qui, un jour de l’année 1352, sur une injonction divine, se manifesta à Rulman Merswin, venait de l’Oberland. De cette affirmation, on ne peut douter, mais Rulman Merswin ne nous en apprend guère plus dans cette citation, sinon que l’Ami de Dieu « était un parfait étranger pour les gens d’ici », autrement dit de Strasbourg. Cette indication n’en reste pas moins précieuse. De deux choses l’une en effet, ou bien elle signifie que l’Ami de Dieu de l’Oberland résidait suffisamment loin de Strasbourg pour y apparaître comme un étranger, ou bien elle laisse entendre que cette qualité d’étranger revêt un autre sens. « Il devint mon ami caché », ajoute Rulman Merswin, non pas parce qu’il était  étranger aux gens de Strasbourg, mais parce qu’il leur demeurerait étranger, même s’il devait s’établir parmi eux. L’Ami de Dieu de l’Oberland apparaît ainsi comme un étranger, et c’est à ce titre qu’il est devenu « l’ami caché » de Rulman Merswin. Voici ce qu’il convient d’entendre. De quel pays est-il originaire ? Dans quelle région vit-il ? Sa correspondance avec Rulman Merswin nous permet d’en retracer la biographie, mais c’est « l’ami caché » qui nous intéresse, en relation avec cette intimité dont Rulman Merswin fait état : « Je devins aussi intime avec lui qu’avec Dieu ». Cette formulation traduit naturellement autre chose qu’une simple amitié, même spirituelle ; il faut y voir une relation de maître à disciple et plus encore le témoignage d’une expérience spirituelle, qui est celle des Amis de Dieu, et dont Rulman Merswin nous donne ici l’expression la plus simple et la plus rigoureuse qui soit. La voie des Amis de Dieu, c’est cela : devenir aussi intime avec son maître spirituel, un Ami de Dieu lui-même, qu’avec Dieu. On comprend dès lors pourquoi l’Ami de Dieu de l’Oberland devait demeurer un étranger pour tous, puisque son intimité est réservée à un seul. C’est à lui que reviendra, dira Rulman Merswin, « tous les secrets de mes quatre années de naissance spirituelle ».

       Qui était Rulman Merswin ?

       Rulman Merswin, né à Strasbourg en 1307, dix ans après Henri Suso (1296), était un riche banquier, respecté pour son intégrité. En 1347, il décide de mener, avec sa femme, une vie « semblable à celle des tertiaires ». Cette conversion dure quatre années, de fin 1347 à 1352, et Jean Tauler devient son confesseur en 1348. Il est à noter que ces années sont particulièrement sombres pour Strasbourg et sa région : deux tremblements de terre (1346 et 1348) et surtout une épidémie de peste asiatique, de 1347 à 1349, provoquant des pogromes et des processions de flagellants. Dans le même temps se développait l’hérésie des Frères du Libre-Esprit. C’est dans ce contexte qui semble annoncer les temps derniers qu’il faut placer les commencements de la vie spirituelle de Rulman Merswin ainsi que son désir de devenir un Ami de Dieu qui forme sa véritable vocation en Dieu.

       C’est alors en 1352 qu’il fait la connaissance de l’Ami de Dieu de l’Oberland. Ce dernier lui remet son autobiographie spirituelle, le Livre des deux hommes, en échange de quoi Rulman Merswin rédigera à son intention l’Histoire des quatre années de ma vie nouvelle. Mais, disons-le de suite, personne d’autre que Rulman Merswin ne devait voir celui qui devient alors son conseiller spirituel, son confident, à qui il se fiera entièrement durant toute son existence, et dont les lettres et d’autres livres inspireront, jusqu’à la mort de l’Ami de Dieu, la communauté de l’Ile Verte.

        Pendant douze ans, Rulman Merswin mène son existence retirée, jusqu’à ce qu’en 1364, le 9 octobre, il reçoive, en même temps que l’Ami de Dieu de l’Oberland, une première injonction de fonder une maison religieuse : « Il arriva ensuite, en la nuit de Noël suivante, à minuit de cette sainte nuit du Christ, que tous deux, lui en bas et moi en haut, nous éprouvâmes en même temps dans la nature [c’est-à-dire dans notre corps], une telle douleur et souffrance que nous nous imaginâmes tous deux être sur le point de mourir. Et, dans cette souffrance, nous eûmes la révélation, si claire qu’il n’y avait qu’à y croire, que nous devions fonder un cloître à Strasbourg ». Cependant, refusant de s’exécuter, il tombe malade et sa maladie dure deux ans. Il n’en guérit qu’en 1366, en faisant l’acquisition d’un cloître abandonné, aux faubourgs de Strasbourg : l’Ile Verte.

L’Ile verte

       Dans les premiers temps, il le répare et y installe quatre prêtres, ainsi qu’un jeune ami, qui deviendra prêtre à son tour et son secrétaire : Nicolas de Laufen. L’intention de Rulman Merswin n’est pas de fonder un couvent, mais de créer un refuge, un « nid », selon le mot de Jean Tauler, pour des laïcs, éventuellement pour des prêtres, où ceux-ci se retireraient du monde pour se vouer à la prière, sans entrer dans un Ordre. Il s’agit, selon les termes mêmes de l’Histoire de la Maison de Saint-Jean d’une « maison de refuge où puissent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois qui désireraient fuir le monde et se consacrer à Dieu, sans cependant entrer dans un ordre monastique. Ils devraient y vivre de leurs propres deniers, en toute simplicité et honnêteté, etc. ». Pourtant, cette première expérience, décevante du fait des dissensions qui se font jour entre les prêtres, contraint Rulman Merswin à confier la direction de l’Ile Verte à un ordre. Ce sera l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem : « La Trinité, en donnant l’Ile Verte à l’ordre de Saint-Jean, a visé surtout l’avantage des laïques. Cette maison est destinée, en effet, à être un asile pour les laïcs de toutes conditions qui désireront fuir le monde et se convertir à Dieu. La Trinité n’a pas voulu qu’ils se heurtassent à un genre de vie trop sévère ou qu’ils eussent à rougir de leur nouvelle société ; elle a donc agréé l’ordre de Saint-Jean, ordre de laïques fondé sur la chevalerie et aussi distingué par la noblesse que par la piété de ses membres. »

      En 1371, l’ordre de Saint-Jean prend donc possession des lieux, et la même année, Rulman Merswin, veuf pour la deuxième fois, s’y retire et met sa fortune à la disposition de l’Ordre pour l’embellissement de l’Ile Verte. Il y mène une vie humble et cachée, selon le témoignage de ses contemporains : « A le voir d’humeur si joyeuse et si affable envers son prochain, nul ne soupçonna jamais qu’il fût un si grand et si intime ami de Dieu ». Quant à la fondation elle-même - l’Ile Verte - elle prit son essor, grâce à la présence des chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean (et certainement aussi, du fait de l’importance commerciale et intellectuelle de Strasbourg).

        En 1380, Rulman Merswin reprend ses manuscrits et les enferme dans « une petite armoire scellée de sa chambre ». Puis, « il se fit construire à côté de l’église une demeure à part, dans laquelle il vécut depuis lors dans une réclusion absolue, sans plus en sortir ni le jour ni la nuit, pas même pour se rendre à l’église, puisqu’il pouvait assister de sa chambre à la célébration de la messe ». Il meurt deux ans plus tard.