> Ce qu'il dit du Camp des saints en 1999

[ Le Camp des saints | Jean Raspail ]

 

Propos recueillis par Christian Authier, L'Opinion indépendante, 15 octobre 1999

"Lorsque Le Camp des saints a été publié en 1973, beaucoup ont dit que ce roman était prophétique. Avez-vous le sentiment que ce que vous décriviez est arrivé?

Non, pas du tout. En fait, ce n'est pas un livre prophétique. C'est une sorte de symbole ou de parabole. Si on prend le récit au pied de la lettre, je me suis trompé puisque cet envahissement pacifique de l'Occident par le Tiers-monde se produisait avec l'arrivée subite par bateaux de trois millions de personnes. Cela ne se passe pas du tout de cette façon-là. D'autre part, Le Camp des saints se déroulait dans une unité de temps et de lieu. Aujourd'hui, ces mouvements se produisent sur de longues distances. C'est pour cela qu'il faut prendre le livre pour une parabole. En revanche, ce qui est important dans ce roman ce sont les réactions de l'Occident. Ces réactions sont presque toutes foireuses. Il y a une espèce de paralysie de l'action et de la pensée car on ne peut pas s'opposer à des gens pauvres et affamés. C'est çà le thème. Il n'est ni chrétien ni charitable de s'opposer. Au nom de quoi? Or, on pourrait penser que si l'on veut s'y opposer - pour des raisons bonnes ou mauvaises - on a le droit de le faire. Il y a autant de raisons de se défendre que de raisons de lâcher. Là où Le Camp des saints a une valeur prophétique, c'est qu'il a anticipé les réactions d'aujourd'hui."

"Vos héros romanesques sont des solitaires, des individualistes qui fuient la loi du troupeau en s'élevant contre la notion de "collectivité". N'avez-vous pas l'impression qu'aujourd'hui l'individu est "roi", qu'il y a eu une formidable atomisation et que le collectif a disparu?

Si l'individu est devenu roi, il n'y a pas de royaume... Je ne crois pas à l'individualisme de maintenant. Tout le monde se ressemble de plus en plus. Les mentalités sont nivelées et il n'y a jamais eu autant de conformisme qu'aujourd'hui. Je ne parle même pas du "politiquement correct" et de toutes les tartes à la crème qui se baladent. Il est très difficile de s'opposer à ce genre de choses et à ce collectivisme rampant de la pensée parce qu'immédiatement le chœur des gardiens de la conscience universelle vous tombe dessus! L'individu se replie sur lui-même mais c'est de façon égoïste. Il se replie sur lui-même mais il est exactement semblable à celui qui est à côté. Donc, c'est de la blague! Tout le monde pense de la même façon."

"Dans vos romans on trouve une recherche ou une célébration - parfois teintée de mélancolie - d'un monde perdu, d'un royaume souvent imaginaire. Cette célébration de ce qui n'est pas ou qui n'est plus, semble paradoxalement plus vivante et plus tonique que la croyance au paradis à venir...

Dans mes romans, les gens vont chercher ailleurs et ailleurs il n'y a rien. Puis, il y a une sorte de dernier carré formé par des gens qui ont du panache... Et tout cela ne sert plus à rien."

"Dans Le jeu du roi, il y a une expression qui définit bien votre univers, c'est "orphelins du rêve". rencontrez-vous encore de ces orphelins du rêve?"

Il y a moi! Nous sommes dans un monde où il est très difficile de se projeter dans une existence rêvée. Je ne parle pas du rêve du type qui pense qu'il va gagner au loto. Ce monde-ci ne permet pas du tout le rêve, ce qui explique tout ce désarroi, dans la jeunesse en particulier. C'est quand même épatant d'avoir été jeune il y a une centaine d'années quand ce monde s'ouvrait complètement, où l'on pouvait découvrir je ne sais quoi, où il y avait des terres à prendre de partout... C'était extraordinaire! Aujourd'hui le seul rêve de conquête ou de dépassement complet c'est l'espace - qui est un univers de machines - ou alors la vie mystique intérieure. Je n'en vois pas d'autres. On ne sait plus où projeter nos rêves. En écrivant mes livres, je me raconte des histoires à moi-même. mes livres racontent à peu près la même histoire : la recherche d'un rêve absolument irréalisable."